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Le fantasme de la liberté (2)

par Bernard Giossi

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 20 (avril 2005) .
La première partie peut être consultée ici.




Résumé : L’aspiration à des « libertés » est un aménagement de la bourgeoisie qui entrave le processus naturel de libération actif en chaque être humain. En focalisant les populations sur leurs « droits », celle-ci les compromet dans des rôles qui lui assurent pérennité et pouvoir.


La liberté d’information est une franchise octroyée au fil des siècles par les gens de pouvoir à la population - dont d’ailleurs ils dépendent - et qui semble être devenue un droit humain alors qu’à ce titre elle n’est que contractuelle. La bourgeoisie s’en est approprié l’usage par le quasi monopole des maisons d’édition, des journaux, des radios et des télévisions. La liberté d’information n’existe qu’au service des classes dominantes et la tolérance méprisante que ces dernières ont pour les informations « alternatives » ne donne qu’un vernis humaniste à l’exercice du pouvoir. S’il y a de fait des choses à dire et à transmettre, ce sont celles qui participent à la mise à jour et à la résolution des entraves névrotiques à l’exercice d’une pleine conscience.


Enjeu de pouvoir

La liberté d’information est donc une prétention à un droit de diffuser des faits avérés ou non, des idées, des concepts, des croyances. Dans ce contexte, le fait d’informer dénie l’humain en tant qu’être conscient pour en faire une cible exploitable. Cette action implique alors une structure hiérarchique dans laquelle la chose à transmettre - ou à dissimuler, selon le but à atteindre - à une valeur dans un certain projet. Celle-ci est utilisée pour opérer une séparation entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, en réalité, entre ceux qui possèdent et ceux qui manquent. L’enjeu n’est pas ce qui est transmis, ni même sa forme, mais le rapport de pouvoir que pérennise la diffusion ou la rétention relative de l’information.

Généralement, l’information est étroitement asservie aux notions intellectuelles d’objectivité et de subjectivité. Elle n’est en elle-même ni vraie ni fausse. Elle n’est exacte que dans la mesure où ceux qui l’émettent et ceux qui la reçoivent sont conscients, c’est-à-dire sentent ce qui se passe réellement pour eux, en relation avec leur histoire personnelle et avec l’ensemble.


Objectivité et subjectivité

L’objectivité est une valeur bourgeoise synonyme d’honnêteté, de lucidité et de raison, qui manifeste une prétention à l’innocence. Ainsi l’esprit d’observation et de calcul, prétendument impartial et désintéressé, détermine les recherches scientifiques avec les conséquences que l’on sait. Elle servit de base théorique à l’application de la distance relationnelle minimum nécessaire pour justifier de s’approprier hier le monde et aujourd’hui le vivant. C’est un déni profond de notre nature relationnelle et sensible. L’objectivité est une des pires manifestations de la prétention bourgeoise parce qu’elle légitime par principe la distance que celle-ci oppose à la réalité.

La subjectivité en est le pendant. C’est un terme intellectuel méprisant qui a été posé sur la façon dont le peuple était en prise avec son vécu quotidien. Pour se construire une situation sociale décalée de la réalité quotidienne des populations qu’elles exploitaient, l’aristocratie puis la bourgeoisie ont dû nier le rapport relationnel intime des paysans (puis des ouvriers) à la nature et à la vie. C’est cette relation directe, encore rude et douloureuse mais proche d’un senti, qui est qualifiée de subjective et méprisée.

La subjectivité pose une reconnaissance implicite des liens de cause à effet entre ce qui est vécu et l’ensemble, mais elle reste un détournement de la réalité à cause des interdits parentaux et collectifs. L’objectivité se place en dehors de la relation, en interdit l’accès (sous peine de subjectivité !) et construit de faux liens de cause à effet afin d’exploiter la réalité. Ni l’une ni l’autre n’ouvre une voie vers la libération de l’exercice de la conscience.



En ton nom…

En latin, « liber », libre, est connoté péjorativement de « trop libre ». Libertinus désigne « l’affranchi », celui qui n’appartient à aucun maître, par opposition à « ingenuus », celui qui est né de parents libres. Ces sens sont passés dans le français, mais les lettrés laïcs et religieux du XVIIe, qui seuls parlaient et écrivaient le latin, ont progressivement dégradé le sens du mot ingénu en « naïf et sot », pour ne garder que l’affranchissement, valorisant ainsi cet acte pour s’approprier les services de l’affranchi.

B. G.



Liberté d’expression

La liberté d’expression peut être définie comme la manifestation publique ou privée d’une opinion personnelle. Mais pour « imaginer » un tel concept, il faut avoir réduit au silence des millions de bébés et d’enfants, les avoir privés de la jouissance de leur nature consciente, puis les avoir envoyés à l’école, qui leur enseigna les droits de l’homme. Dès lors, cette liberté apparaît comme une revendication, sinon une exigence, à exprimer le besoin d’être satisfait devant l’autorité dont cette satisfaction semble dépendre. Elle cache l’esclavage qu’elle implique, car seul l’esclave veut être libéré. S’il faut un droit pour gérer l’expression, c’est bien qu’elle est un enjeu du pouvoir. Et derrière les querelles politico-juridiques se profile l’ombre de celui qui ne doit pas être nommé, le fondateur de l’interdit: le père autoritaire.

À l’origine de toute aspiration à la liberté, il y a donc un interdit. Plus celui-ci est grand, plus les droits octroyés ou conquis sont considérés comme précieux. La peur de perdre l’usage de ces droits sera d’autant plus grande que les rejouements opérés pour les obtenir furent douloureux, ce qui révèle l’origine traumatique du besoin de liberté. Le nouveau-né exprime spontanément ce qu’il vit et tout son être manifeste son état présent: joie, souffrance, calme, tension... Lorsque ses parents ne sont pas avec lui, ne font pas pour lui ce qu’il faut, au moment où il le faut, et se retournent de surcroît contre lui, ils transmettent à leur petit l’interdit d’exprimer puis de s’exprimer. C’est le début d’une répression féroce contre la nature essentiellement relationnelle et consciente de l’être humain.

L’expression, dès lors qu’elle est un positionnement dans la mise à jour du pouvoir parental puis du pouvoir collectif, est une retrouvaille avec sa propre nature. Mais si elle se confine dans la maintenance de rapports sociaux basés sur la confrontation aveugle, la propriété et le pouvoir, elle est alors un degré de plus dans la complexification de la structure de négation de la vie imposée par la hiérarchie bourgeoise.

Bernard Giossi

© B. Giossi – 03.2005 / www.regardconscient.net