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La psychanalyse au service de la domination patriarcale

par Sylvie Vermeulen

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : En organisant sa théorie sexuelle, Freud refoule la terreur relationnelle suscitée par son père. Les projections qu’il fait sur la nature féminine, loin de libérer les hommes, les éloignent de leur capacité à jouir de la vie.


La psychanalyse pointe des souffrances humaines tout en verrouillant l’accès à leurs causes. Ainsi, sa vulgarisation sert le patriarcat car elle focalise l’esprit sur des interprétations orientées dans le but non conscient d’éviter les responsabilités du père dans la mise en scène des schémas relationnels dont il a souffert. L’utilisation des notions erronées de supériorité et d’infériorité en sont des exemples. Ces torsions du rapport à soi et aux autres résultent de tout un processus de refoulement et de gestion du rôle attribué à l’enfant dans la relation au père, à la mère et à la communauté. Le déni de la primauté de la conscience commune aux deux sexes qui est à l’origine de ces torsions, lutte insidieusement contre le processus de libération et de réalisation de cette conscience. Il entérine une relation de pouvoir qui est, au regard de notre nature, une aberration.


Culpabilité et châtiments

La relation de pouvoir engendre un sentiment de culpabilité vécu le plus souvent comme endogène. En fait, ce dernier est un avertissement de l’abandon d’un état conscient au profit d’une adaptation structurée à la névrose parentale et sociale. Notre nature étant consciente, elle manifeste par un état spécifique les entraves à sa spontanéité. Lorsque les mères se culpabilisent d’abandonner leurs bébés à une nourrice ou à la crèche, c’est que leur place d’êtres conscients est d’être auprès d’eux. La culpabilité que les parents ressentent à vivre inconscients – et de plus, à le revendiquer – est projetée sur l’enfant qui, à leurs yeux, est rendu alors coupable de ne pas s’adapter suffisamment vite à leur structure névrotique.

Dans la mise en place des rejouements collectifs, les représentants du pouvoir entérinent cette conception perverse. Ils l’entérinent  et se servent du sentiment de culpabilité pour se légitimer de juger et de punir afin d’asservir, au lieu de résoudre ce dernier en lui reconnaissant ses causes réelles. Les châtiments infligés aux déviants sont toujours la manifestation crue des causes de l’aveuglement collectif : humiliations, coups, isolement, emprisonnement, voire exécution.  Mais en pratiquant ce raccourci, les gens de pouvoir créent un choc psychique qui interdit de réaliser les liens libérateurs entre conséquences et causes, et imposent le refoulement de ce sentiment par la soumission aux règles qui assurent sa pérennité.


Prouesse de la conscience

La psychanalyse, qui ménage les rôles imposés par le père, introduit une force négative s’opposant à une force positive au coeur de la spontanéité de l’enfant. L’idée de « force négative » définit en fait l’ensemble des entraves au bon développement physique de l’enfant et à la bonne réalisation de sa conscience. Dès lors, la lutte intérieure que mène l’enfant pour rester en vie et tenter de sauvegarder son intégrité, malgré les dénis subis et les exigences imposées, est une prouesse de sa conscience. Tous les comportements de l’enfant – ses appels au secours, ses colères, ses affirmations, ses reflets, son accompagnement… –  sont interprétés en fonction du refus des adultes de reconnaître la monstruosité des exigences masculines sur les femmes, sur les mères et sur les enfants.

Nous aspirons tous à vivre pleinement ce que, au fond de nous, nous savons pouvoir vivre. Par la voix des médias et de la publicité, les classes dominantes veulent nous faire croire que nous voulons être plus heureux, plus riches, plus beaux et plus intelligents. Mais comment pourrions-nous vouloir être autres que ce que nous renions être, si ce n’est pour compenser la souffrance qu’engendre ce reniement ?

La nature consciente de l’être humain est jouissance, joie, plénitude, abondance, amour... Le summum de la manipulation consiste à enfermer celle-ci, par des pratiques éducatives et des fantasmes de consommation, dans la croyance que la vie est souffrance, insatisfaction, renoncement, lutte, maîtrise de soi et dans l’idée que le but honorable de l’homme serait d’humaniser cette misère humaine. Cette conception de la vie n’a pour objectif que le refoulement impératif du sentiment d’impuissance vécu face à l’obstination névrotique du père.


Complexe de castration

Pour ne pas remettre en cause les projections des hommes sur la nature féminine – a fortiori celles qu’ils opèrent sur leur propre nature masculine – et ne pas reconnaître l’existence d’une conscience sensible aux deux principes, Freud et tous ses disciples, ont confirmé le mal au plus intime de l’être féminin : au centre de sa sexualité.  En réalité, lorsque la petite fille pense que sa nature est mauvaise, c’est que ses parents l’y ont contrainte. Tous les enfants manifestent à leurs parents que ceux-ci agissent aveuglément, mais au lieu de remettre en cause leur comportement, ces derniers font porter à l’enfant qu’il est  méchant ou mauvais. La petite fille ne peut pas penser que sa nature est mauvaise sans qu’une persécution psychique et physique l’y ait contrainte.

Des générations d’hommes ont entretenu la croyance que les femmes sont des êtres inférieurs, sans âme, obsédés par le sexe, qu’il faut soumettre, surveiller, maîtriser, enfermer, interdire de parole. Cette dévalorisation constante de leur nature sensible et consciente est tellement omniprésente dans les civilisations qu’elles-mêmes en arrivent à porter atteinte psychologiquement ou physiquement à leur sexe jusqu’à en nier l’activité. C’est une façon d’exprimer la souffrance et son origine projective.

Pour la psychanalyse, la différence anatomique entre le garçon et la fille serait, avant même que cette dernière ne gère les conséquences des projections faites sur sa féminité, la preuve de sa mauvaise nature psychologique. Ces projections destructrices, loin de libérer les hommes, les éloignent de leur capacité à jouir de la vie. Ceux-ci deviennent les compagnons d’une misère qu’ils provoquent et entretiennent eux-mêmes. Leur insupportable incompréhension les fait projeter sur l’autre sexe les causes et les conséquences de leur propre vécu. Ainsi, Freud organise-t-il son complexe de castration sur deux réalités de niveaux différents. L’une, niée, est la conscience de l’enfant, et l’autre, théorisée, est l’organisation conceptuelle autour d’un traumatisme. La première étant la connaissance innée de l’anatomie féminine commune aux deux sexes et la deuxième, universalisée de force par un besoin impératif de résolution, étant sa propre circoncision.

Face à l’intégrité physique du sexe féminin, l’enfant mutilé est emporté par une réminiscence du traumatisme vécu. Il lui faut précipitamment organiser un monde qui prenne en compte sa véritable nature, les passages à l’acte subis et les exigences parentales, notamment celle, impitoyable, d’être vus comme de bons parents innocents. C’est ce que fit Freud. Mais le père effrayant n’était pas imaginaire. Il était bien là, dans toute sa réduction, obéissant aux lois de la compulsion névrotique masculine et déniant la spontanéité de la vie.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 07.2004 / www.regardconscient.net