Édito No 11 (août 20023)

Au nom du père

par Marc-André Cotton

Arguant de notre héritage chrétien, le Saint Siège souhaiterait qu’une mention explicite soit faite de « Dieu » dans le préambule de la nouvelle Constitution européenne. Mais ce débat, fort médiatisé, dissimule une autre réalité, beaucoup plus prosaïque. À la suite d’un marchandage, le Vatican serait parvenu à introduire dans l’actuel projet de Constitution une disposition – l’article 51 – permettant aux Églises et aux loges maçonniques de conserver les privilèges dont elles jouissent encore dans certaines législations nationales. Le président de la Commission européenne, Romano Prodi, propose même d’étendre à l’Union européenne les avantages consentis en son temps par Mussolini à l’Église catholique [1].

Ces querelles intra-européennes posent à nouveau la question de savoir quel usage les hommes de pouvoir font de la figure divine. Derrière un masque d’honorabilité, ils semblent s’en prévaloir dans le seul but d’asseoir leurs prérogatives et de justifier leurs choix politiques. Ainsi, lors du récent sommet d’Aqaba (Jordanie), le président George W. Bush aurait-il déclaré de son côté : « Dieu m’a dit de frapper al Qaïda et je l’ai fait, et ensuite, il m’ordonna de frapper Saddam, ce que je fis également, et maintenant je suis déterminé à régler le problème du Moyen Orient. » [2]

Dans notre culture judéo-chrétienne, les alliances meurtrières que les hommes concluent avec la figure divine remontent à l’Ancien Testament dans lequel les Patriarches maintiennent leur autorité en invoquant l’inspiration reçue de Yahvé. En agissant ainsi, ils masquent leur totale soumission à la violence de leur éducation et structurent l’organisation sociale autour de la Loi du Père (pages 4 et 5). À l’origine de cette fidélité, on trouve toujours le sacrifice brutal de la vitalité de l’enfant. Abraham, que les trois religions monothéistes revendiquent comme leur père spirituel, imposa une mutilation sanglante – la circoncision – à tous les mâles qui lui étaient soumis. Par ce geste, il cherchait en fait à exorciser ses propres souffrances, notamment celle d’avoir dû épouser sa demi-sœur Saraï, sous l’injonction de leur père Térah.

Aujourd’hui encore, l’inspiration religieuse qui justifie de frapper les enfants prend sa source dans la terreur infligée par le père et rejouée sur l’enfant (page 3). Dans la doctrine chrétienne en effet, l’enfant incarne le péché. Saint Augustin dénonce les châtiments corporels dans ses Confessions, mais cautionne néanmoins la violence éducative par fidélité à ses parents et éducateurs (page 6). Pourtant, les paroles de Jésus sont explicites à propos des enfants : « Si vous ne retournez pas à l’état des enfants, vous ne pourrez entrer dans le Royaume des Cieux. » (Mt 18 3) Jésus libère du jugement et de la condamnation posés sur les rejouements des Hommes, il révèle la nature du Pouvoir et reconnaît l’existence d’un chemin de libération inhérent à tout être (page 8). C’est pourquoi son message initiateur nous rappelle toujours à notre faculté d’aimer.

M.Co.

[1] Le député européen Maurizio Turco a rassemblé 253 de ses collègues parlementaires pour s’opposer à l’article 51 du projet de Constitution européenne.

[2] Ces propos furent rapportés par le quotidien israélien Haaretz du 22.07.2003.


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