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Perspectives psychohistoriques sur le Covid-19

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue PEPS No 30 (automne 2020)


Résumé : La crise sanitaire que nous traversons entraîne des changements éprouvants, tant en nous qu’autour de nous. Le confinement et les incertitudes que suscite cette pandémie ont pu réveiller des blessures que nous ignorions jusque-là, et nous faire vivre des anxiétés difficiles à nommer. Réunis virtuellement pour leur 43e conférence annuelle, des psychohistoriens ont fait le point sur ce contexte exceptionnel.


Du fait des mesures prises contre le Covid-19, l’International psychohistorical association (IPA) a tenu son congrès annuel par visioconférence sur deux week-ends des mois de mai et juin derniers. Réunissant une trentaine d’intervenants, cet évènement nous a permis de partager nos vues sur la crise sanitaire et sociale qui frappe l’Europe et les États-Unis plus particulièrement. Rappelons que la psychohistoire cherche à comprendre les motivations sous-jacentes aux dynamiques des groupes humains, avec un intérêt particulier pour les conditionnements émergeant de l’enfance et de l’éducation.


Disparité des réponses à la crise

Sur un plan statistique, le taux de surmortalité globale contourne la difficile évaluation des morts causées directement par le Covid-19 et permet des comparaisons internationales. En France, entre le 16 mars et le 10 mai 2020, les décès ont été de 28% plus nombreux qu’à la même période de l’année précédente, d’après le New York Times. Aux États-Unis, la surmortalité s’est établie à 21%, contre 4% en Allemagne et 38% au Royaume-Uni[1]. Ces chiffres traduisent la disparité des réponses opposées à la crise dans ces pays aux niveaux de vie comparables, les performances de leur système de santé et les priorités des gouvernements respectifs à l’annonce des premiers signes de l’épidémie. Autant d’indicateurs qui témoignent de l’organisation sociale, des héritages historiques et culturels, de la personnalité des dirigeants, voire de l’inconscient collectif de chacune des nations concernées.

L’Allemagne s’est ainsi distinguée par une politique de dépistage massif. L’isolement et le traitement des seuls sujets positifs, à un stade précoce de la maladie, a permis de limiter la contagion, de réduire l’afflux dans les hôpitaux et d’éviter le confinement de la population. Jusqu’à la contamination de son Premier ministre, Boris Johnson, le Royaume-Uni adopta une stratégie d’immunisation collective laissant les actes de prévention reposer essentiellement sur les choix individuels. Cette politique d’inspiration libérale visait à préserver l’activité économique, mais comportait le risque de voir la mortalité exploser. Dans une allocution prononcée le 12 mars, le chef du gouvernement britannique admettait que « de nombreuses familles allaient encore perdre trop tôt des êtres proches ».


Des métaphores qui parlent

Aux États-Unis, le président Donald Trump, dont la réélection est suspendue à une reprise économique, a maintes fois prédit que le « virus chinois » disparaîtrait de lui-même. Certains conservateurs ont suggéré qu’il valait mieux laisser mourir les plus âgés pour préserver le bien-être financier des jeunes générations, initiant une polémique sur le prix d’une vie humaine[2]. En mai, alors que ce pays devenait l’épicentre de la pandémie selon l’OMS, Trump affirmait encore : « Peut-être qu’il y aura une flambée, peut-être pas. Mais si le virus flambe, nous éteindrons l’incendie[3]. » Un fantasme de maîtrise le ramenant sans doute à un sentiment d’impuissance.

Pour les psychohistoriens, les métaphores ont une signification inconsciente et renvoient à une réalité occultée, mais agissante. Lorsque le président Macron évoqua une « guerre » dans son allocution télévisée du 16 mars, suivie d’une « mobilisation générale », il adoptait la posture du Père de la nation française pour imposer des mesures d’exception – mais cachait aussi l'incompétence de son gouvernement à faire face à la crise sanitaire[4]. Les terreurs intériorisées dans l’enfance par ses concitoyens raviveraient diverses formes de subordination à l’autorité et de contrôle social inédites en temps de paix (fig. 1).


Fig. 1 : Prise dans une école maternelle de Tourcoing (59), l'image suggère l'impact psychologique des mesures de distanciation sociale sur les enfants d'âge préscolaire. (Lionel Top/BFMTV, mai 2020)

Anxiétés intolérables

Dans l’intimité de la relation à leurs clients, qu’ils consultent désormais à distance, des thérapeutes ont également relevé un foisonnement d’analogies. Certains comparaient leur confinement à une peine de prison ou à un couvre-feu. D’autres assimilaient la pandémie à une catastrophe naturelle, un ouragan ou un raz-de-marée par exemple, pour traduire leur peur d’être submergés. « Quand nous sommes obsédés par la désinfection, le choix d’un masque ou de gants en latex, nous n’avons peut-être pas conscience que nous gérons d’anciennes terreurs logées depuis longtemps dans un recoin caché de notre cerveau », suggéra une collègue[5]. L’accueil de nos remontées émotionnelles permet alors de moins dramatiser le contexte environnant.

Sur le virus ou les contraintes sanitaires qui nous sont imposées, nous pouvons projeter les souffrances d’avoir été harcelés, persécutés par nos parents et nos éducateurs. Les traumatismes d’une naissance difficile ou d’une blessure d’attachement peuvent subitement ressurgir et susciter des anxiétés intolérables, voire ébranler le socle de notre identité – un état de panique intérieure que le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicott avait traduit par une « crainte de l’effondrement[6] ». Certains de nos cauchemars sont susceptibles de nous aider à en préciser les contours. Un autre thérapeute nous dit avoir rêvé qu’une chauve-souris passait au travers du pare-brise de sa voiture et ainsi retrouvé une sensation de vulnérabilité que suscitait autour de lui la peur d’une contagion.


« Traumatisme partagé »

Sans doute plus que tout autre péril, une pandémie renvoie aux anxiétés fondamentales qui n’ont cessé de tourmenter l’espèce humaine : l’inéluctabilité de la mort, les moyens que nous nous sommes donnés pour survivre aux dangers qui menaçaient notre existence, le besoin de comprendre et d’intégrer les conséquences psychologiques des drames qui ont marqué l’Histoire. La crise actuelle nous confronte donc à ce qu’une autre intervenante appelle un « traumatisme partagé » – une expérience singulière dans laquelle les délimitations habituelles s’estompent, d’autres priorités s’imposent et de nouvelles solidarités apparaissent[7].

L’insécurité ressentie simultanément par des individus d’horizons différents peut susciter le sentiment d’être « dans le même bateau » et nous conduire à faire un pas vers plus de bienveillance envers les autres. Alors que le Covid-19 touche particulièrement certaines minorités et classes d’âge, cette perspective encourageante pourrait atténuer le contrecoup de la distanciation sociale et de l’isolement émotionnel dont beaucoup souffrent actuellement.


Fig. 2 : Volontaires masquées servant la soupe populaire à Cincinnati (États-Unis) lors de l'épidémie de grippe de 1918 (Bettmann-Archives, 1918)


Impact psychologique du confinement

Par le passé, les pandémies ont souvent affecté les plus vulnérables et provoqué de graves désordres sociaux, comme les pogroms antijuifs emblématiques de la Peste noire (1348-1351). Mais à l’époque déjà, rapporte un collègue historien, on se rendit compte que l’altruisme et les élans de solidarité étaient plus favorables au salut de ces communautés qui vivaient dans la crainte de Dieu[8]. Au siècle dernier, la Grippe espagnole mobilisa une armée de volontaires, essentiellement des femmes de condition modeste qui, en dépit des risques qu’elles couraient, se relayèrent au chevet des malades, organisèrent des soupes populaires ou prirent soin des laissés-pour-compte (fig. 2). Un tel élan d’abnégation n’est pas sans rappeler le dévouement des personnels soignants, toujours en première ligne dans la crise actuelle.

L’impact psychologique des mesures d’isolement, imposées mondialement, préoccupa également les participants au congrès de l’IPA, tout comme celui de la distanciation sociale encore largement en vigueur. De telles mesures de précautions sont déjà mentionnées dans la Bible (Lévitiques, 13:1-59) et furent inégalement prescrites lors de la pandémie grippale de 1918-1919. Une augmentation significative des violences domestiques a été relevée pendant la période de confinement, à l’instar d’autres réactions de stigmatisation et de xénophobie. Les personnes souffrant de troubles mentaux ont vu leurs symptômes exacerbés. L’isolement émotionnel et le manque de contacts physiques ont pu faire ressurgir des souffrances ignorées – des maltraitances subies dans l’enfance, par exemple – et montré l’importance des réseaux de soutien.

Nous avons rapidement dû apprendre à vivre dans un monde virtuel, à refréner nos élans d’affections pour intégrer de nouvelles normes sociales. Parce que chacun peut être vecteur d’une contagion et par civisme, nous avons intériorisé peu à peu une « peur de l’autre » qui s’inscrira durablement dans notre quotidien. Avec en filigrane cette injonction paradoxale : si tu m’aimes, alors ne m’approche pas !

Marc-André Cotton
Vice-président international de l’International psychohistorical association

© M.A. Cotton – 10.2020 / www.regardconscient.net


Notes :

[1] Jin Wu et al, “Tracking the True Toll of the Coronavirus Outbreak”, The New York Times, mise à jour du 09.07.2020, https://www.nytimes.com/interactive/2020/04/21/world/coronavirus-missing-deaths.html. D’après l’INSEE, les décès ont été de 26% plus nombreux en France, entre le 1er mars et le 30 avril 2020, qu’à la même période de l’année précédente, soit quelque trente-mille morts excédentaires. Entre le 1e mai et le 29 juin, ils furent moindres qu’en 2019, traduisant une phase de repli de l’épidémie.

[2] « Ces conservateurs américains prêts à sacrifier les seniors pour sauver l’économie », Courrier international, 26.03.2020, https://www.courrierinternational.com/article/covid-19-ces-conservateurs-americains-prets-sacrifier-les-seniors-pour-sauver-leconomie.

[3] Gino Spocchia, “Coronavirus: All the times Trump has baselessly claimed Covid-19 would disappear”, The Independent, 02.07.2020, https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/coronavirus-trump-us-cases-death-toll-covid-19-update-a9597421.html.

[4] Sur la gestion de la crise en France, voir l’interview du Pr Christian Perronne, « Je parle de mensonge d’État car on nous a masqué une pénurie », LCI, 16.06.2020, https://www.lci.fr/politique/covid-19-coronavirus-pandemie-confinement-deconfinement-masques-je-parle-de-mensonge-d-etat-car-on-nous-a-masque-une-penurie-affirme-le-pr-christian-perronne-2156719.html.

[5] Susan Kavaler-Adler, “Covid-19 and the Internal Persecutory Object”, Psychohistory News, Spring 2020, https://sway.office.com/eq5x7nTOzH06aZ7U.

[6] Donald Winnicott, « La crainte de l’effondrement », Nouvelle Revue de Psychanalyse, Gallimard, 1975, https://www.art-cru.com/textes-theoriques/des-theoriciens-pour-travailler/winnicott-la-crainte-de-l-effondrement.

[7] Carole Tosone, “Shared Trauma: When the Professional is Personal”, Clinical Social Work Journal, mai 2012, Vol 40, pp. 231-239, https://rdcu.be/b5Q3B.

[8] Samuel K. Cohn Jr, “Compassion During Plagues”, Clio’s Psyche, Vol. 26 No 3, Spring 2020.