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Reconnaître notre processus de réalisation
(première partie)

par Sylvie Vermeulen

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : Le processus de réalisation est un processus mis en place par la vie elle-même. C’est un outil qui se développe simultanément à l’adaptation au mode de vie de nos parents. Il a son propre fonctionnement. L’effort d’analyse qu’il implique repose sur un consentement intellectuel porté par une sensation de justesse.


Mes recherches m’ont conduite à prendre conscience de l’existence d’un processus de réalisation de notre conscience. Je sais qu’il n’est évident pour personne d’en reconnaître l’activité en nous. La cause en est que notre senti a été mis à mal lorsqu’enfants, nos parents nous reprochaient nos émotions et nos manifestations. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait en eux et donc, pas non plus sous leurs yeux – et ceci ne constitue pas une excuse. Je pris conscience que nos parents réagissaient en fonction de leur propre structure d’adaptation.

En fait, en tant qu’adulte adaptée au système de pensée de mes parents, il m’a fallu des années d’introspection pour réaliser l’effet sur moi, nouveau-né, d’un regard réprobateur ou d’un rejet de ma mère, une sorte de tétanie des muscles thoraciques qui m’obligeait à forcer ma respiration pour rester en vie.


Le senti

Ce que j’appelle le senti est la synthèse innée et instantanée opérée par l’ensemble de nos capacités sensorielles nous permettant d’être spontanément en relation. Le senti est le je connecté et, sans vouloir le réduire, notre outil relationnel. C’est sur la base de ce senti que nous pouvons réfléchir sainement et agir justement. La pensée reste alors fluide et instantanément disponible. Malheureusement, nous sommes tous identifiés à des structures de pensée complexes et sophistiquées. Nous dévalorisons donc notre précieux senti sans réaliser qu’il détermine nos besoins réels et leur satisfaction, et qu’il est le garant d’une symbiose avec notre environnement. Le senti a pour base le vivant dans son ensemble. Il est constamment actif et précis. Et malgré l’énergie mise à le dénigrer, il nous guide toujours bien au-delà de la transgression générationnelle des lois de la vie qui altèrent notre santé physique et psychique. Le senti est en réalité incontournable, il nous ramène incessamment à notre capacité à prendre conscience des traumatismes subis afin de libérer notre intégrité de leur activité. Pour ce faire, il nous propose spontanément de prendre en compte ce que nous écartons afin de correspondre aux attentes familiales et sociales. Il est à l’origine de la mise en place du processus de réalisation de notre nature conscience.

Ce que nous nommons l’intuition est ce qu’il nous reste de ce lien à soi et au monde. Lorsque nous sommes pris dans nos conditionnements adaptatifs, notre senti n’a un droit de reconnaissance que sous la forme réduite d’une « idée de génie » offrant une réponse soulageant des personnes ou apportant une solution attendue à un problème récurrent. En général, l’intuition n’est considérée comme ayant une valeur que lorsqu’elle est exploitable. Dans les domaine scientifiques et technologiques, nos chercheurs en sont les plus augustes consommateurs.


Le senti et la croyance

Quand nous cherchons à nous reconnecter à notre nature, à notre logique naturelle, à notre réalité humaine, nous commençons par faire des hypothèses. Ce faisant, nous tentons de discerner ce que nous sentons, de ce que nous croyons. Il ne faut pas avoir peur de faire des hypothèses ni de les laisser raisonner en nous. Leur écoute nous permet de discerner ce qui est de l’ordre de la croyance de ce que nous sentons être naturellement juste. Il est évident que ce que nous sentons juste nous permet de nous positionner justement.

Lorsque, livrés aux exigences de nos parents et à celles de la société, nous doutons de notre senti pour adhérer à une de leurs nombreuses croyances, nous suivons les directives d’aïeux qui ont tout d’abord construit cette croyance comme une solution puis l’ont structurée et complexifiée en tant que religion, tradition ou autre, à défaut de pouvoir résoudre la cause du problème originel. Il nous faut donc reconnaître une croyance, en mesurer les conséquences sur notre vie, puis réfléchir sur ses causes et conséquences historiques. Prenons le port du voile : tout a commencé quand les combattants de Mahomet violaient même les femmes musulmanes. Le voile est un signe distinctif, historiquement attribué au Prophète, qui servit à protéger les dites fidèles des actes de barbarie perpétrés par leurs propres frères en religion. En ce temps-là, Mahomet ne pouvait pas dire : « Votre Dieu vous interdit de violer. » Il y avait alors certaines limites à cadrer la folie des hommes. Chez certaines musulmanes, l’idée même de retirer leur voile réactive un danger de mort ou de viol imminent. Elles n’ont parfois même pas l’espace d’y songer. La solution est devenue une croyance renforcée par les nombreux passages à l’acte d’hommes qui, au nom d’Allah, se sont arrogés le droit d’exécuter une sœur, une mère, une cousine impie. De solution, la croyance est devenue un instrument de soumission, voire d’exécution.

Les croyances ont participé à la construction des structures patriarcales de gestion des rapports humains. Elles correspondent à l’intensité des terreurs de nos ancêtres, à leurs interprétations erronées, à leurs supports de prédilection et à leur propre soumission aux croyances sociales de leur temps. En Occident, dans la lente compréhension des choses, les superstitions se dissipent, les croyances se détectent, les terreurs ont moins d’emprise, les manifestations nous interpellent, leur gestion évolue. Des prises de conscience collectives ont permis de remettre en cause les aspects les plus dommageables de ces structures d’adaptation anciennes. Nous n’avons plus de sacrifice humain ni de combats de gladiateurs dans nos ruines romaines. Mais il se trouve encore des endroits où certaines morts humaines sentent le sacrifice et des endroits où les coqs dits de combat font les frais de remises en scène compulsives collectives. L’Homme sacrifie une vie pour croire au pouvoir qu’il exerce sur lui-même, à celui qu’il tente d’exercer sur sa propre mort, un pouvoir sur soi, sur l’autre, sur la vie de l’autre alors qu’il manifeste à qui le comprendra les conséquences non résolues de son conditionnement. Un peu de recul sur ces pratiques lui permettrait de prendre conscience de leur enjeu de conscience.

Il ne s’agit plus aujourd’hui de faire une prise de conscience par siècle, par décennie, ou même par année mais, il s’agit de se donner les moyens de tout remettre en cause. C’est à dire de reconnaître ce qui est conséquent et de le relier à sa cause d’origine. Et c’est tout à fait possible. L’idée du nombre me réjouit et m’enthousiasme. Autour de moi, les quelques personnes qui osent faire ce travail se sentent un peu seules.


Le senti et le doute

En entretenant une croyance, nous étouffons le doute qui lui est inévitablement associé. Lorsque nous la remettons en cause, nous acceptons de reconnaître ce doute. La mémoire des dissonances nous interpelle à travers le doute sur ce qui est supposé les contrebalancer, les croyances à partir desquelles nous devons nous conditionner. Le doute nous invite à reconsidérer les fondements de nos conditionnements en rapprochant notamment nos vécus réels, revisités, des interprétations et croyances parentales qui légitimaient leurs passages à l’acte. Par exemple, certaines personnes croient que les fessées subies dans leur enfance ont été bénéfiques : les fessées permettraient à l’enfant d’éviter de refaire ce qu’il venait de faire et qui avait été interprété par leurs propres parents comme étant très mal. D’autres, de plus en plus nombreuses, en doutent. Ces dernières sont moins effrayées par l’intensité des sentiments qui les envahissent. Elles ont donc un peu plus d’espace pour douter des prétextes utilisés pour justifier de telles violences. Cet espace leur permet d’aller plus loin, elles peuvent réaliser les conséquences délétères que ces passages à l’acte ont provoquées sur leur confiance en eux.

La fessée terrorise et humilie. Elle provoque chez l’enfant ainsi dévalorisé un obstacle au bon développement de sa réflexion et par conséquent, une perturbation de sa réalisation naturelle. L’enfant ne doit plus reconnaître son senti ni réfléchir sur cette base. Il ne doit même plus douter des raisonnements qui lui sont imposés. Par conséquent, l’enfant va rapidement construire une structure de pensée faite d’une sensibilité contrôlée par des croyances qui, à chaque fois, lui seront présentées comme étant indispensables à sa survie. Les parents frappeurs et raisonneurs n’ont plus d’espace pour ressentir le doute. Ils n’ont pas eu le temps de réfléchir sur la base de leur senti. Ils ne peuvent donc qu’adhérer aux croyances de leurs propres parents.


Le senti et la remise en scène

La fonction première d’une remise en scène est la prise de conscience de ce que nous avons subi. Elle nous offre la possibilité d’une reconnexion entre la situation causale et les émotions que celle-ci provoqua. La charge émotionnelle risquait alors d’endommager un cerveau en plein développement. La dissociation était donc salutaire, mais le besoin de compréhension de l’adulte qui passe par la reconnexion, l’est tout autant pour agir justement. Une compréhension aboutit donc tout naturellement à un positionnement éclairé.

La remise en scène procure une sensation d’ordre. Lorsque nous déjouons compulsivement son dénouement, nous utilisons cette sensation d’ordre pour justifier sa répétition. Cette sensation compense momentanément le sentiment inhumain d’avoir été dévalorisé. La remise en scène fait partie du processus de réalisation. Nous remettons en scène tant que nous n’avons pas réalisé ce que nous devons naturellement réaliser pour jouir à nouveau de la fluidité de notre réflexion.

Il y a mille occasions de remettre en scène nos douloureux vécus. Les dissonances et les traumatismes ont été occasionnés lors de situations qui provoquèrent des émotions plus ou moins assimilables. Leur mémorisation a pour conséquence une gestion qui entraine elle-même d’autres conséquences. Et simultanément, elle met en place une activité potentiellement libératrice dynamisée par le besoin d’associer ce qui a été dissocié. Les situations traumatiques se vivent le plus souvent au sein même de la famille. Le traumatisme qu’engendre un retournement du parent contre son enfant n’est pas encore reconnu comme tel. Les extrêmes comme les coups, les abus sexuels et les mutilations servent souvent à le minimiser.

Lors des situations dissociatives sont présents tous les protagonistes, leur vécu respectif et leur environnement. Une remise en scène est souvent déclenchée par un « détail » de la vie courante qui réactive un fragment de la mémoire du traumatisme. Ce déclencheur est spontanément sélectionné par le besoin de comprendre notre douloureux passé et par celui, impératif, d’agir justement. Sans conscience de ce qui se passe, ce « détail » nous précipite dans une réaction et donc dans la mise en scène du rôle de victime conséquent de l’émotion provoquée par la situation. Quelqu’un qui réagit attaque, agresse, assaille. Un agresseur, un assaillant se sent tout d’abord victime. Ces deux états se succèdent souvent sans que nous nous en apercevions. Nous reprochons en tant que victimes et nous attaquons en tant qu’agresseurs. Parfois, nous nous apercevons que nous répétons certaines agressions. Leur récurrence nous interpelle. Pourquoi, dans certaines situations souvent similaires, ne puis-je agir justement. Il se trouve que nous ne pouvons plus agir justement lorsque nous sommes envahis par la sensation d’être victimes et que nous n’avons pas encore la compréhension de ce qui se passe en nous. Une mère, par exemple, ne peut pas être victime de son nouveau-né. Le nouveau-né a des besoins de nouveau-né. Une disponibilité particulière lui est nécessaire. Ses besoins diffèreront en fonction de son développement. Les jeunes mères que je croise actuellement mettent leurs activités et leur vie professionnelle au même niveau d’importance que le besoin de leur tout-petit. Ils ont besoin, et c’est naturel, d’une disponibilité totale de la part de leur mère les premiers mois de leur vie. Elles ne réalisent pas que cette disponibilité est cruciale. Cette disponibilité est confirmante. Elle confirme l’être dans sa nature d’humain existant dans une continuité. Elle déterminera leur monde relationnel. Prise dans la remise en scène, ces mères ne réalisent pas non plus que cette disponibilité n’est nécessaire qu’un temps. Elles remettent en scène l’indisponibilité de leur propre mère.

Un autre exemple : lorsqu’un père frappe un de ses enfants parce que ce dernier vient de donner un coup à un autre de ses enfants, il se sent tout d’abord victime de cet enfant. Quand le père frappe à son tour, il réagit et se manifeste à lui-même l’une des causes de son profond et intense sentiment d’avoir été victime. Il manifeste avoir été privé de la reconnaissance et de l’écoute parentale nécessaire à la résolution des conséquences émotionnelles de cet état. Sans cette reconnaissance de la part de ses parents, l’enfant devenu père ne peut pas jouir du recul que procure la compréhension de ce qui se passe. Face à son enfant et envahi par cette intense remontée, il ne peut que faire porter à son enfant la responsabilité de l’état dans lequel il se retrouve soudainement. Il ne peut pas percevoir cette émotion, son intensité comme étant la réminiscence d’une souffrance passée. Même s’il pressent que son geste est abusif, la main frappe comme lui même a été frappé. Il recompose l’ensemble de la scène qu’il n’appréhende pas comme étant la réactualisation d’une dissociation traumatique. L’introspection permet de se remémorer le vécu de la scène première. Elle permet la reconnexion des parties dissociées et donc la résolution de l’activité de la mémorisation de la situation traumatique d’origine. Le positionnement vis à vis de ces situations traumatiques se fait ensuite naturellement.

L’enfant manifeste et ainsi existe à lui-même en tant qu’être conscient. L’adulte remet en scène et s’il a peur de prendre conscience, il perd petit à petit son humanité. La remise en scène a valeur d’automanifestation et est donc un espace possible de prise de conscience. Rappelons ici que notre pensée est l’expression de notre réflexivité lorsqu’elle réfléchit notre senti. Nous sommes des êtres conscients et rien, pas même notre survie, ne pourra nous dénaturer au point de devenir étranger à nous-mêmes. Quand une personne accepte de se remémorer ce qu’elle a vécu la première fois où elle a été frappée par l’un des garants de sa sécurité, ce retournement violent lui apparaît immédiatement pour ce qu’il est : un passage à l’acte inapproprié lui parlant de l’état de panique de son parent.


Le senti et la structure d’adaptation

La structure d’adaptation est un enchevêtrement de sentis personnels et de croyances qui déterminent nos comportements et nos choix. Dès la naissance, nos géniteurs ont exigé de nous d’entraver notre réalisation naissante et donc de contrarier notre réflexion naissante en nous focalisant sur des comportements, des pensées et des activités présentés comme essentiels au bon fonctionnement de leur organisation familiale et sociale. Ces comportements, ces structures et ces activités nous ont été présentés comme prévalant absolument sur des comportements et des activités portés par une spontanéité fondée sur notre senti.

Les impératifs de nos parents découlent des impératifs des générations précédentes. Ce que chaque génération met en place détermine les priorités de la suivante. Le décalage entre la nature du nouveau-né et le monde dans lequel vivent ses parents est de plus en plus perturbant pour l’enfant (constructions humaines, bruit, lumière, agitation, remises en scène, transmission des problématiques non résolues, nourriture, etc). Un décalage qui les a, en son temps, terrorisés et qu’ils aimeraient inconsciemment éviter à leurs enfants. En réalité, ce qu’ils aimeraient éviter, ce sont les réminiscences des souffrances engendrées par ce décalage. Pour gérer cette peur, les parents pensent le nouveau-né comme étant capable d’être confronté, dès sa naissance, à leur environnement, notamment aux vêtements, aux gestes intrusifs, aux lumières artificielles, à la vitesse, aux bruits, aux tensions relationnelles, etc. Ainsi, ils cultivent le déni, si ce n’est l’ignorance des conséquences. Et quand l’enfant manifeste une souffrance, le parent se rassure en faisant rapidement l’inventaire des quelques besoins à satisfaire reconnus par ses pairs, puis interprète la manifestation de souffrance de son enfant comme étant un caprice ou, pire encore, une volonté de l’énerver. Une aberration relationnelle présentée comme une résolution à ne pas se faire avoir par son enfant alors que le parent est en train de retourner son ignorance contre lui. Cette première phase du développement de l’enfant est tellement paniquante pour le parent que celui-ci cherche sans cesse des échappatoires. Rendu incapable de se détendre et d’être tout simplement présent et disponible à lui-même, il fuit en tous sens, allant jusqu’à emmener son nouveau-né dans les transports en commun, les grandes surfaces, voire en concert, sans pouvoir reconnaître le besoin de calme et de sécurité du nourrisson. Il implique l’enfant dans son mode de vie en provoquant chez lui des empreintes traumatiques similaires aux siennes. Il rejoue sans aucune conscience. Et les futures remises en scène nécessitant un cadre similaire, la pérennité de son mode de vie est alors assurée, mais au prix de maux extrêmes. 

Sans le reconnaître, on demande au nouveau-né de gérer en son for intérieur et le plus discrètement possible toutes sortes d’inconforts et de tensions. On lui demande également d’endurer les conséquences des violences physiques et des torsions psychologiques provoquées par les inadéquations parentales. Les parents le précipitent ainsi dans ce qui deviendra sa structure d’adaptation, une intégration forcée de plus en plus complexe et insidieusement douloureuse. Il doit de surcroît gérer tous les traumatismes liés aux remises en scène collectives : traumatismes à la naissance, intrusions douloureuses du corps médical, accidents de toutes sortes, terrorisme, etc.

Pour comprendre sereinement ce monde, il lui faut d’abord être confirmé dans le sien. Pour ce faire, le nouveau-né a besoin, les premiers mois, d’une relation proche de celle qu’il vivait dans le ventre de sa mère. Il a besoin d’un corps à corps et d’un accueil équivalent enrichis, après sa naissance, de l’espace de découverte qu’offre naturellement la présence et la conscience de sa mère. Son besoin d’une intégration en douceur nécessite que le parent soit conscient du décalage existant entre son vécu présent, son développement et le mode de vie auquel il participera une fois jeune adulte. Le nourrisson a d’abord besoin de se sentir confirmé en tant qu’être humain pour ensuite comprendre un mode de vie transformé par des siècles d’adaptations et d’innovations. Les obligations qui lui sont imposées, entre autres de dormir seul, d’ingérer des aliments dépourvus de l’essentiel, de contrôler ses fonctions naturelles ou d’être confié à des étrangers, sont pour lui des non-sens. Ces obligations déconfirment et déstabilisent. Elles traumatisent et sont mémorisées comme telles. Pour toutes sortes de raisons, elles occupent l’esprit des parents qui, dès lors, ne sont plus présents aux rythmes ni à l’évolution des différents rythmes du développement de leur enfant. Elles sont les premières perturbations de son rapport à lui-même.

L’enfant, son senti et sa nature réflexive confirmés, participera au mode de vie de ses contemporains en conscience. Il sera capable de discerner ce qui est conséquent de ce qui est juste, et donc capable d’accompagner ses contemporains dans des prises de conscience salvatrices.


Le senti et l’empreinte traumatique

Tout ce qui dissone est mémorisé. En musique, une dissonance désigne la discordance d’un ensemble de sons produisant une impression d’instabilité, de contrariété entre les notes et de tension nécessitant une résolution. Les impressions conséquentes d’une discordance dans le domaine de la musique sont reconnues comme provoquant une souffrance, mais pas les dissonances dans le relationnel. Pourtant les premières nous ramènent aux secondes. Elles nous parlent de la sensibilité humaine pour laquelle toute dissonance est mémorisée comme pointant une discordance dans l’ensemble relationnel, provoquant ainsi une sensation d’instabilité, de contrariété et de tension, nécessitant une résolution. Ce que nous exigeons dans un domaine, nous empêche d’en réaliser la signification.

Un nourrisson est traumatisé par des violences faites à son encontre ou par celles dont il serait le témoin. Mais, il l’est aussi par de « simples » dissonances. Il est un être doté d’une sensibilité et d’une réflexivité qui font de lui un être conscient en voie de réalisation. Au niveau des dissonances, il développe également une mémoire spécifique. Petit rappel : cette mémoire active cherche la résolution de son activité dans la prise de conscience. La prise de conscience se fait lorsqu’il y a une reconnexion entre l’émotion provoquée par une situation dissonante et la situation elle-même. L’être humain est occupé par un besoin impératif de se positionner par rapport à ce qu’il a subi pour retrouver son intégrité et sa justesse. Toute dissonance déconfirme, toute reconnexion auto-confirme. Cependant, un cerveau en plein développement ne peut pas opérer ce niveau de prise de conscience parce que la charge émotionnelle des traumatismes subis qu’elle réactiverait, risquerait encore de l’endommager. Adolescent, il aura peur de cette sensation d’anéantissement et déjouera la prise de conscience. Ceci explique ses prises de risque ; elles lui permettent de se « familiariser » avec cette réminiscence effrayante afin qu’un jour, il puisse enfin s’autoriser à la reconnexion et donc à la résolution de son activité. La capacité retrouvée du parent à faire les liens entre les dissonances, les traumatismes et leurs manifestations participe à apaiser l’enfant et à lui permettre d’assimiler progressivement la charge émotionnelle sans qu’il se sente immédiatement effrayé. Cet effroi, réitéré à chaque refus ou impossibilité du parent de comprendre ce qui se passe, renforce chez l’enfant une structure d’adaptation qui finalement justifiera ses passages à l’acte puisque ces derniers seront porteurs de la forme d’impossibilité ou d’interdit parental de prendre conscience de leurs causes.

La mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle des violences et des dissonances. Elle est contenue dans l’amygdale cérébrale et n’a pas pu être traitée par l’hippocampe à cause de l’intensité émotionnelle. Elle a donc été déconnectée à l’instant du traumatisme. L’hippocampe est une partie du cerveau qui intègre la sensibilité réflexive et la transforme en mémoire conceptuelle et donc verbalisable. L’hippocampe stocke et permet une résurgence instantanée des souvenirs et des apprentissages nécessaires dans le présent. Il permet de se repérer dans le temps et l’espace. Les disjonctions perturbent gravement ses fonctions. La mémoire traumatique est formée de toutes les empreintes traumatiques et de toutes les dissonances. Elle est au cœur de tous les troubles psychotraumatiques. L’activité et les manifestations de la mémoire traumatique sont difficilement contrôlables pour l’enfant malgré les pressions dans ce sens de la part des parents. Elle l’envahit de revécus que l’adulte lui demande de contrôler. Cette demande intensifie le refoulement, les déconnexions isolant les deux parties du cerveau, et donc transforme la réalisation en structure d’adaptation. L’adulte impose un contrôle des conséquences, ordonnant ainsi le maintien des dissociations. Quand on contrôle une activité de cette importance et intensité, on ne peut que maintenir l’activité de la mémoire traumatique au lieu de la résoudre. Les parents, témoins du vécu de leur enfant, devront se rendre sensible aux liens que celui-ci devra un jour faire pour se libérer de l’activité des charges émotionnelles déconnectées des situations qui les ont provoquées. Tout est une question de conscience, de réalisation, de libération des charges émotionnelles.

Nous dépensons beaucoup d’énergie à retrouver les causes d’un accident d’avion, même si celui-ci gît par trois mille mètres de fond. Pourquoi faisons-nous cela et pourquoi ne cherchons nous pas, en tant que parents, à reconnaître les conséquences sur nos enfants de nos remises en scène et à faire des liens avec leurs causes ? Un accident est toujours conséquent d’erreurs humaines. Un accident est une manifestation dont nous devons reconnaître le sens profond. Nous pensons tout mettre en œuvre pour que ce genre d’accident ne se reproduise plus en contrôlant toujours davantage, en faisant si attention à tous les niveaux de fabrication, d’entretien et de pilotage que nous nous demandons, stupéfaits, comment de telles situations peuvent encore advenir. Malheureusement, tout se joue à un autre niveau : celui des remises en scène individuelles et collectives. Nous reproduirons des comportements dommageables qui seront encore et encore à l’origine de terribles accidents, tant que nous n’aurons pas réalisé leur cause réelle.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 06.2017 / www.regardconscient.net