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Des droits de l’enfant à la reconnaissance de sa conscience

par Marc-André Cotton

Cet article est paru dans la revue PEPS No 6 (hiver 2014)

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Résumé : Le Mouvement pour une reconnaissance des droits de l’enfant à largement contribué à l’amélioration des conditions d’existence des plus jeunes, partout dans le monde. Aujourd’hui cependant, nous devons reconnaître à l’enfant sa dimension d’être conscient, plus proche de sa nature que ne le sont les adultes.


Le vingt-cinquième anniversaire de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations-Unies de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), célébré cette année, souligne le chemin parcouru depuis quelques décennies pour que l’enfant soit considéré comme une personne à part entière. La CIDE a introduit notamment la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, son droit à la survie et au développement ou encore la prise en compte de son opinion, de sorte qu’aujourd’hui, tout organisme ou programme à destination des enfants se devrait d’être « fondé sur les droits de l’enfant[1]. »

 

L’enfant, sujet de droit

Rappelons que cette préoccupation n’animait pas la Déclaration française des droits de l’homme (1780), puisqu’à l’époque l’enfant était au mieux considéré comme une propriété de ses parents. La protection des enfants est certes mentionnée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et dans la Déclaration des droits de l’enfant (1959). Mais jusqu’à l’adoption de la CIDE, le 20 novembre 1989, les enfants seront toujours traités comme des objets du droit international et non comme de véritables sujets de droit.

C’est l’un des précurseurs de l’éducation non violente, le pédiatre polonais Janusz Korczak, qui posa les bases d’une charte en faveur des enfants dès le début du XXe siècle. Fondateur d’une Maison de l’orphelin à Varsovie, alors sous domination russe, Korczak transforma peu à peu l’établissement en une société d’enfants organisée selon des principes de justice et d’égalité de droits. Son œuvre majeure Comment aimer un enfant, écrite pendant la Première Guerre mondiale, décrit son expérience d’autogestion pédagogique et ses dispositifs éducatifs, dont le fameux Tribunal des enfants dans lequel Korczak voyait « le premier pas vers l’émancipation de l’enfant, vers l’élaboration et la proclamation d’une Déclaration des droits de l’enfant[2]. »

Parmi ceux qu’il considérait comme les plus essentiels figuraient le droit à l’amour, au respect, aux conditions les meilleures pour sa croissance ou encore le droit d’être lui-même. « Un enfant n’est pas un billet de loterie destiné à gagner le gros lot, » écrivait le pédagogue à l’occasion de la première Semaine de l’enfant organisée en Pologne en septembre 1928[3]. C’est en hommage à l’œuvre de Korczak – gazé par les nazis avec les orphelins du ghetto de Varsovie – qu’en 1978, la délégation polonaise présentera à la Commission onusienne des droits de l’homme un projet de Convention relative aux droits de l’enfant. Du fait de son caractère contraignant pour les États signataires ainsi que d’importantes divergences légales et culturelles entre pays, son élaboration prendra dix ans.

 

Un mouvement pour les droits des enfants

D’autres personnalités novatrices comme Maria Montessori en Italie, Célestin Freinet en France ou le fondateur de l’école de Summerhill, l’Écossais A. S. Neill, ont également œuvré pour inscrire dans la conscience collective les principes d’une relation respectueuse du développement de l’enfant, notamment au travers de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle, fondée en 1921 par le pédagogue genevois Adolphe Ferrière.

Outre-Atlantique, avant même qu’un projet de Convention ne soit à l’ordre du jour des Nations-Unies, le Mouvement des droits civiques remodelait la société américaine et des revendications similaires furent formulées en faveur des enfants. Les plus ardents défenseurs d’une réforme de l’enseignement élargirent désormais leur combat à l’ensemble des institutions du pays, afin que toutes s’engagent à traiter les enfants humainement et équitablement. Dans la présentation de Mouvement pour les droits des enfants, un ouvrage collectif publié en 1977, on peut ainsi lire :

« Il faut dénoncer le fait que les jeunes représentent la minorité la plus opprimée. Les discriminations dont ils font l’objet du fait de l’âge vont de l’admission aux séances de cinéma à la sexualité. Ils sont traditionnellement ridiculisés par les adultes, humiliés et torturés psychologiquement. Leurs droits civils sont systématiquement violés dans les familles, les écoles et autres institutions. Ils ne peuvent souvent pas détenir d’argent ou de propriété. Ils n’ont pas droit à un jury avant d’être condamnés à une peine de prison[4]. »

Pionnier de l’apprentissage informel, dit aussi unschooling[5], John Holt y défend par exemple l’idée d’une Charte permettant aux enfants de revendiquer – s’ils le souhaitent – les mêmes droits, privilèges, devoirs et responsabilités que les citoyens adultes, et cela quel que soit leur âge. « De même, écrit-il, le droit d’une jeune personne à décider de ses apprentissages est un droit qui pourrait et devrait lui être accordé, tout comme celui d’en faire usage d’une manière plus ou moins autonome[6]. »

 



Le respect des besoins de l’enfant

Dans le même ouvrage et sous le titre Le cauchemar de l’enfance, le psychohistorien Lloyd deMause présente aussi sa nouvelle psychogenèse de l’histoire qui considère l’évolution de la relation parents-enfants comme une source prépondérante de transformation sociale. D’après lui, un changement est possible « chaque fois qu’un parent tente de régresser au stade psychique de son enfant et de traverser les anxiétés de cet âge afin de répondre aux besoins de celui-ci mieux que ses propres parents ne l’avaient fait[7]. »

Inspirée par la psychanalyse et le courant de la psychologie humaniste, cette démarche contraste avec l’approche fondée sur les droits, puisque désormais l’adulte se considère partie prenante d’une relation avec l’enfant. En commençant à s’interroger sur son passé, le parent peut pressentir qu’il projette souvent sur l’enfant des conflits issus de conditionnements éducatifs ayant marqué sa propre enfance, qu’il utilise parfois ses enfants pour compenser les défaillances de ses propres parents.

Par cette ébauche d’introspection, il sera potentiellement plus empathique et déjà mieux à même de répondre à l’enfant, devenant ainsi progressivement le co-auteur d’une nouvelle charte relationnelle. Aujourd’hui, nombre de jeunes parents se reconnaissent dans une approche positive de l’éducation, fondée sur l’affirmation des besoins de l’enfant et sur une communication si possible non-violente avec lui.

 

La nature consciente de l’enfant

Le potentiel de transformation engagé par cette dynamique irrésistible est encore insoupçonné. Là où la revendication légitime de droits en faveur des enfants a d’abord pour fonction de poser des limites à la violence des adultes, le « travail sur soi » engage en effet le parent à remonter à la source de ses propres handicaps relationnels, bien souvent des blessures subies dès la naissance au nom de l’adaptation. Ces prises de conscience individuelles ont une action libératrice non seulement pour la personne qui y accède, mais aussi pour son entourage dont ses enfants font partie – et par cascade pour l’ensemble de la communauté humaine.

L’accès à nos souffrances d’enfants nous permet de nous reconnecter à une réalité profondément enfouie dans notre psychisme : aussi loin que porte notre mémoire, nous avons tous été ces êtres conscients que l’aveuglement parental et social a fait taire. Redécouvrir notre dimension consciente revient à recouvrer progressivement la jouissance de l’ensemble de nos sens et la fluidité de nos réflexions – ce dont aucun enfant ne devrait jamais être privé !

C’est donc en travaillant sur soi que l’on peut percevoir, puis voir et reconnaître dans les comportements de nos enfants l’activité d’une nature consciente. C’est ainsi que nous nous détachons des projections que nous faisons sur eux, comme de la tentation souvent irrésistible de les soumettre à nos jugements. Au delà des droits légitimes accordés à l’enfant, ce dernier a besoin d’être entouré d’adultes ayant réalisé leur propre véu d’enfance. Il serait temps de considérer cette démarche comme une activité d’utilité publique !

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 01.2014 / regardconscient.net



[1] Lire par exemple Les droits de l’enfant en Suisse, UNICEF, https://www.unicef.ch/fr/nos-actions/national/notre-engagement-pour-les-droits-de-lenfant.

[2] Janusz Korczak, Comment aimer un enfant, Robert Laffont, 1978, p. 303.

[3] Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, Robert Laffont, 1979.

[4] Beatrice et Ronald Gross, The Children’s Rights Movement, Overcoming the Oppression of Young People, Anchor Books, 1977.

[5] Lire notamment John Holt, Apprendre sans école, des ressources pour agir et s’instruire, éditions L’Instant Présent, 2012.

[6] John Holt, Why Not a Bill of Rights for Children?, in The Children’s Rights Movement, op. cit., p. 324.

[7] Lloyd deMause, The Nightmare of Childhood, in The Children’s Rights Movement, op. cit., p. 36.