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S’intégrer... ou se réaliser ?
Comment se libérer du poids de l’histoire familiale

par Sylvie Vermeulen

À la lecture de cet article, vous pourriez souhaiter accéder au compte-rendu de l’atelier Travailler sur soi au quotidien : l’approche de Regard conscient, donné à l’université d’été de PEPS, le 2 juillet 2017.

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.

Résumé : Ce qui nous préoccupe le plus est le besoin irrépressible de comprendre ce que nous vivons. Pour nous libérer du poids du passé, nous avons besoin d’un positionnement clair face à ce que nous avons subi. Notre réactivité face aux circonstances du présent doit donc être considérée avec tout le sérieux nécessaire à une prise de conscience.


Mes contemporains vont et viennent, travaillent, mangent, s’occupent de leurs enfants. La plupart croient vivre dans le présent. Pourtant, ils portent tous une histoire. Une histoire qui détermine leur façon de penser et d’agir. Une histoire personnelle formatée par celles de leurs deux parents, elles-mêmes gouvernées par celles de leurs lignées et toutes conditionnées par les impératifs sociaux pesant sur chaque génération.


L’histoire d’un enfant

Lors de la conception, le futur de l’enfant est confirmé par le désir de sa mère, sa satisfaction, sa plénitude, sa bonne condition physique ou… infirmé par ses peurs, ses refus, ses insatisfactions, son mal-être, ses traumatismes souvent ignorés.

À la naissance, le nouveau-né est naturellement engagé dans toute sa puissance ou… marqué par des traumatismes physiques plus ou moins violents. Ces traumatismes deviendront des empreintes qui imposeront leur fonction dans le comportement de l’enfant. Lorsque, dans certaines situations, ces empreintes sont réactivées, l’enfant revit par bribes le traumatisme et les circonstances originelles de ce dernier. Ce vécu manifeste alors les charges physique, émotionnelle et psychologique induites au moment du traumatisme. Lors de ces réminiscences, l’enfant a besoin d’être accompagné par des parents clairvoyants. Il a besoin d’être confirmé par un positionnement net de leur part face à ce qu’il a subi. Dans l’entendement parental, il pourra alors mieux vivre ces douloureux moments et résoudre plus rapidement l’activité de ces empreintes. Dans ce cas, parents et enfants participent ensemble à libérer leur espace relationnel au lieu d’en augmenter la charge par des interprétations erronées suivies de maltraitances également traumatisantes. On ne peut pas éliminer ces empreintes, mais on peut se libérer de leur activité par un accueil de la souffrance occasionnée, suivi d’un positionnement clair face à ce qui les a provoquées.

Sans la reconnaissance de l’existence de ce processus de libération de l’être traumatisé, les parents interprètent les réactions des enfants en fonction de sélections faites dans le présent. Ces sélections et leurs interprétations sont déterminées par des croyances, elles-mêmes fondées dans l’ignorance de ceux qui les leur ont imposées. Les parents se légitiment alors - ainsi qu’ils l’ont subi eux-mêmes - de condamner les enfants pour avoir dépassé les bornes. En fait de bornes, il s’agit des limites de leur propre compréhension… ce qui est insupportable aux êtres naturellement conscients que nous sommes.

Les enfants qui ont été maltraités dans l’ignorance parentale de ce processus se sentent frustrés et paniquent d’être incompris. Ils étouffent sous les projections, désespèrent et, progressivement, s’identifient aux rôles que ces projections finissent par imposer du fait de leur caractère réducteur. Dans ces conditions, les enfants ne se sentent pas aimés. Ils deviennent profondément confus et anxieux. Dès lors, ils s’agrippent à tout ce qui pourra leur donner la sensation d’exister dans le regard de leurs parents. Ils s’adaptent et ainsi se caricaturent douloureusement au détriment de leur santé et de leur réalisation.


L’histoire d’une famille

Une famille est riche d’expériences et de connaissances individuelles utiles à l’épanouissement de chacun de ses membres dont elle assure le confort. Elle accueille, sécurise, confirme l’enfant naissant et l’enrichit de ses propres découvertes.

Mais le plus souvent, l’histoire familiale est structurée en fonction des histoires non résolues des parents. Dans le couple, l’homme et la femme tentent vainement d’associer deux adaptations qui sont dépendantes des particularités de la gestion de leurs propres parents. À coup de compromis, ils cherchent une entente sur la corde raide de leurs priorités du moment. Il en résulte une gestion familiale chaotique, le plus souvent fatalisée par les autres membres de la communauté.

L’héritage est extrêmement lourd à porter pour chaque nouveau-né surtout lorsque ses parents n’ont pas reconnu, avant sa conception, l’impact de cet héritage sur eux-mêmes et n’ont pas conscience du fait qu’ils la lui transmettent. Cet héritage détermine les rôles dans le couple, ceux imposés à la fratrie et participe aussi, au fil des siècles, à l’apparition de maladies, de handicaps, d’infirmités, de morts prématurées… 

Le refus collectif de reconnaître l’activité de ces chaînes de causalité séculaires enferme les jeunes parents vivant ces manifestations aigues dans une culpabilité et une solitude sans nom. La prise de conscience des dynamiques à l’œuvre, communes à tous, et de leur contenu, spécifique à chacun, libère de la pression subie et de celle qui pèse sur le futur de nos enfants.

La famille est donc responsable – et non pas coupable – d’hypothéquer l’avenir de ses enfants par ignorance. Elle est responsable de son attachement à des croyances qui compensent cette ignorance. Elle est responsable des condamnations qu’elle opère sur la remise en cause et, de sa façon de compenser sur le dos des uns et des autres sans ouvrir les yeux sur les conséquences. Elle est responsable de ne pas reconnaître les torsions relationnelles qu’elle véhicule, de génération en génération, au détriment de l’entière satisfaction de ses nouveaux-nés.


L’environnement social

L’environnement social d’un enfant confirme son existence en tant que nouveau membre enrichissant de sa présence le groupe et « Mère nature ». Devenu adulte, il dynamise sa communauté de sa joie de vivre, l’enrichit de sa spécificité et y trouve tout naturellement sa place. Mais l’environnement social, envahi depuis longtemps par la gestion de la névrose commune, infirme l’être par le dictat de ses propres lois. Il l’enferme dans des choix issus des peurs collectives. Il le réduit à des rôles hiérarchisés imposés par un ensemble d’insatisfactions cherchant des soulagements dans des compensations le déviant de l’essentiel.

L’adulte, dans toute sa puissance, est naturellement engagé dans sa communauté… Mais, marqué par des traumatismes non résolus et donc agissants, il plaque leur souvenir circonstanciel sur le vécu social. Il participe alors au maintien de la structure névrotique de ce dernier. Lorsque l’adulte est « réactivé », il est envahi par des sensations et émotions qu’il justifie dans le présent en prenant comme support ses contemporains. Comme pour l’enfant, ce vécu manifeste les charges physique, émotionnelle et psychologique induites au moment des traumatismes. Lors de ces réminiscences, l’adulte a besoin d’être accompagné par des amis clairvoyants. Il a besoin d’être confirmé par un positionnement net de leur part face à ce qu’il a subi enfant. Dans l’entendement social, il pourra alors mieux vivre ces douloureux moments et résoudre plus rapidement l’activité de ces empreintes traumatiques. Dans ce cas, tous participeront à libérer leur espace relationnel au lieu d’en augmenter la charge par le déni, le mépris, le jugement et la condamnation suivis de sanctions tout aussi dramatiques.

Sans la reconnaissance de l’existence de ce processus de libération de l’être traumatisé, les gouvernants interprètent les réactions de la population en fonction d’une vision caricaturale au jour le jour. Leurs sélections et leurs interprétations sont déterminées par leurs propres croyances, elles-mêmes fondées sur l’ignorance de ceux qui les ont éduqués. Les gouvernants se légitiment alors – tel qu’ils l’ont subi eux-mêmes – de condamner la population pour avoir enfreint les lois. En fait, pour avoir révélé les limites de leur compréhension… ce qui est insupportable aux êtres naturellement voués à la réalisation que sont aussi nos représentants.

La population, identifiée à son propre rôle, se maltraite elle-même par ignorance de ce processus. Elle se sent douloureusement spoliée par les inégalités qu’elle a elle-même participé à mettre en place. Elle désespère des injustices sociales engendrées par la combinaison des rôles auxquels chacun s’est identifié au cours de son adaptation. Elle étouffe sous ses propres projections et panique de ne plus rien y comprendre. Dans ces conditions, ses membres se sentent exploités. Ils deviennent confus, anxieux et donc dépressifs. Dès lors, ils s’agrippent à tout ce qui peut leur donner la sensation d’exister aux yeux des autres, à leurs croyances, à leurs valeurs et donc à leur culture. Ils se caricaturent au détriment de leur condition physique et de la réalisation de leur conscience.

Dans les villes et les villages, les habitants tentent de se rassurer en s’associant avec des adaptations similaires. Néanmoins pris dans des rapports de force, ils cherchent à imposer leur mode de gestion sur l’arête de leur intérêt. Il en résulte une gestion sociale à risques, le plus souvent fatalisée par les membres, dits passifs, du reste de la communauté.

L’héritage est donc lourd à porter surtout lorsque les élus n’ont pas reconnu avant leur prise de fonction l’impact de cet héritage sur eux-mêmes. Ils entérinent alors les rôles dans la collectivité, nourrissent les oppositions et la concurrence de leur ignorance et impliquent la jeunesse dans ce jeu macabre. Au fil des siècles, ils participent au maintien des errances et des confusions solitaires, au maintien des inégalités, des exclusions, des rancoeurs, des conflits, des révoltes et des guerres.

Le refus collectif de reconnaître l’activité des chaînes de causalité formant l’Histoire de l’Humanité enferme les générations qui ont vécu ces extrêmes dans des culpabilités et des secrets minant l’ensemble du tissu social. La prise de conscience des dynamiques à l’œuvre, communes à tous, et de leur contenu, spécifique à chacun, libérerait la jeunesse de ce funeste héritage.

Les gouvernants sont donc responsables – et non pas coupables – de rester dépendants de leurs privilèges et de maintenir la structure sociale qui les leur assure. Ils le sont d’utiliser toutes sortes de répressions pour conserver leur statut et de ce fait, de léser le développement de la jeunesse. Ils sont responsables de leur attachement aux croyances qui compensent leur ignorance, aux valeurs qui les étayent et des condamnations qu’ils opèrent sur les remises en cause. Ils sont responsables de ne pas reconnaître les torsions relationnelles qu’ils véhiculent au détriment de la satisfaction de la nouvelle génération.


Notre conscience

En tant qu’êtres humains, nous sommes mus par un besoin irrépressible de comprendre ce que nous vivons.

Nos empreintes sont actives tant que leurs apparitions dans nos présents ne sont pas connectées avec le vécu traumatique correspondant, ce qui est dommageable pour notre sensibilité psychophysique. Leurs réminiscences, dissociées de la nécessaire prise de conscience, deviennent des compulsions de répétition et menacent alors notre vie de tous les jours, nos contemporains, la génération suivante, notre Humanité et « Mère nature ».

L’activité de notre conscience se révèle au cours d’années d’un réel travail sur soi. Les prises de conscience successives des causes des situations traumatiques et de leurs conséquences favorisent la jouissance d’une pensée fluide conduisant à la justesse du geste. Une pratique intense de l’écoute permet de réaliser que chaque être traumatisé met en place le même processus de libération, seul le vécu à traiter étant propre à chacun.

Le fait que nous soyons des êtres conscients implique que notre réactivité soit considérée avec tout le sérieux nécessaire à la prise de conscience. L’intensité de nos émotions, de nos peurs, de nos malaises, de nos angoisses nous permet de différencier la réminiscence du vécu présent. Le moment et la forme nous parlent des circonstances du traumatisme.

Nous avons impérativement besoin d’un positionnement clair face à ce que nous avons subi. Pour cela nous devons accueillir pleinement notre vécu. En général, ce qu’on nous propose est de « faire le deuil », c’est-à-dire de maintenir le conditionnement imposé par les parents et les obligations sociales. On nous propose de nous raisonner, de nous maîtriser et on nous dit de « lâcher » ou de « négliger » le seul processus nous permettant de vivre notre nature consciente.

On ne peut pas « faire le deuil » d’une incompréhension, d’une confusion ni même d’une compréhension, d’une prise de conscience, d’une réalisation. On ne peut pas lâcher une sélection, ou une remise en scène.

On peut se distraire un moment, s’occuper, regarder ailleurs mais la nécessité de résoudre l’activité de nos souffrances d’enfance, de reconnaître notre vécu passé et notre héritage familial ne nous quittera pas avant d’être satisfaite. Le refus d’accueillir, de prendre conscience, de nous positionner face aux situations douloureuses nous mène à leur répétition. Le refus de saisir leur raison d’être nous mène à une compulsion de répétition nous précipitant dans la sénilité.

Les injonctions : Faites le deuil !, Lâchez prise et ça ira mieux !… semblent être porteuses d’une certaine logique parce qu’elles réactivent celles utilisées par les parents et les éducateurs pour soumettre les enfants à leur mode de gestion alors qu’ils sont sous leur protection. Ces injonctions proposent d’entériner le conditionnement et de gérer le refoulé en utilisant la puissance du jeune adulte. Mais le jeune adulte sait qu’il n’est plus « sous tutelle ». Il tente de s’autocontrôler sur le même mode que celui de ses éducateurs par incompréhension du processus de libération agissant en lui. Il y met toute son énergie sans pouvoir y arriver. N’y comprenant plus rien, il devient énervé, voire agressif. La culpabilité de ne pas y arriver et le sentiment d’une profonde nullité finissent par l’envahir parfois jusqu’à la dépression.


À vous, chères lectrices et chers lecteurs !

Osez nommer ce que vous avez vécu sous les exigences et les coups, et n’acceptez plus les interprétations faites sur votre propre vécu ! Osez sentir ce qui vous paraît juste et discernez-le nettement de ce que vous sentez faux dans tous les discours ! Ne vous laissez plus mener par des croyances, par des adaptations et accompagnez-vous les uns les autres ! Osez l’écoute que vous n’avez jamais eue ! Ayez confiance en votre nature d’être humain et en son extraordinaire capacité à résoudre elle-même sa propre problématique !

Notre responsabilité est individuelle, mais nous ne pouvons porter seuls le déni de nos lignées et les résistances collectives. Ces dernières tendent à briser la moindre velléité de libération par toutes sortes de manipulations et de répressions. Nous n’avons pas encore idée de ce que nous faisons subir à nos enfants. Saisissez l’importance de l’enjeu, il ne peut être écarté par la peur de se sentir coupable !

La nouvelle génération ne peut plus conjuguer le poids des attentes familiales, des exigences collectives, des complexités relationnelles et la disponibilité nécessaire pour préserver l’intégrité d’un nouveau-né. 

Sylvie Vermeulen

© Sylvie Vermeulen – 01.2013 / www.regardconscient.net