> Accueil

> Rechercher

> Télécharger

>  

 

> Le Génie de l’être
> et autres écrits

> Copyrights



Psychologie : le déni des constructivistes

par Sylvie Vermeulen

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 23 (mars 2006)

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : La psychologie constructiviste pose comme naturelles les conditions névrotiques dans lesquelles vivent les enfants, ceci pour exploiter les potentialités de ces derniers au profit de la hiérarchie sociale.


Les scientifiques voulaient connaître l’ensemble des processus de la vie pour en maîtriser ce qu’ils considéraient comme les imperfections. Dans leur structure de pensées, ils posèrent l’adaptation comme un phénomène naturel alors que celle-ci est la résultante des agressions relationnelles et physiques subies dans l’enfance. L’inadéquation parentale a une cause, mais la terreur de réaliser cette dernière engendre un mouvement de refoulement ne pouvant s’imposer à notre élan de réalisation que dans l’interprétation de la réalité.

 

Conscience et « intelligence »

L’homme affirme l’existence d’une imperfection, alors qu'il observe une problématique à résoudre, rappel dépositaire de la cause – la condamnation de la spontanéité de l’enfant – et de sa conséquence première – la rupture de l’unité du sens par la déconnection des conséquences à leurs causes réelles. Ce rappel est paré d’une interprétation compensant l’impossibilité de se réaliser du fait de l’aberration même de son propre contenu. De là, les scientifiques élaborèrent des structures de pensées de plus en plus complexes, appliquant systématiquement à la nature consciente une division en paires dites complémentaires : bien/mal, gentil/méchant, calme/remuant, inoffensif/agressif, bon/cruel, inférieur/supérieur, juste/faux, moins/plus… ceci pour compenser la perte de l’exercice de notre faculté de sentir ce qui nuit à notre bien-être. Le mal n’est que la manifestation de souffrances non résolues envahissant l’expérience de notre conscience. Il ne peut pas être posé dans une relation de paires complémentaires dont les éléments constituants auraient la même valeur. Prisonnier de cette torsion référentielle de la réalité, l’homme étudie la conscience. Mais de cette dernière, il n’observe que la faculté d’adaptation. Cependant, tout ce que nous remettons en scène sert à rappeler l’arrêt infligé à l’élan de réalisation de la conscience.

En psychologie et en pédagogie, l’étude des compétences et des performances de l’enfant fut largement soutenue par tous les gouvernements, car elle a toujours eu pour fin d’accroître le niveau d’instruction des enfants, l’échec scolaire restant le moteur d’une perpétuelle fuite en avant. Dès 1905, Alfred Binet (1857-1911) élabora une échelle métrique de l’intelligence entre les âges pour mesurer les inégalités des aptitudes des enfants, leur déniant ainsi les mêmes potentialités humaines et l’existence de souffrances handicapantes. Le terme humiliant de « débile mental » fut alors attribué à ceux qui manifestaient un « manque d’intérêt », une « intelligence médiocre » ou encore avaient de « mauvais résultats ». Binet, Zazou, Wechsler, Taine et bien d’autres chercheurs à ce jour passèrent leur temps à élaborer des fichiers au lieu d’accompagner les êtres qu’ils réduisirent à des sujets d’observation.

 

Réalisation et « érudition »

Le texte suivant, tiré du cours de psychologie Dunod, montre certaines conséquences de l’astreinte à l’observation scientifique  : « Avant que ne soient constituées [chez l’enfant] des acquisitions “consolidées”, l’on constate des anticipations fonctionnelles : des réussites nouvelles peuvent apparaître transitoirement et être suivies de régressions apparentes. Ces irrégularités traduisent des discordances, des conflits entre les divers plans mentaux. Après avoir été longtemps négligées, elles sont aujourd’hui considérées sous le nom d’“évolutions non monotones”. Celles-ci s’observent lorsqu’“après avoir atteint un certain niveau de performance à un âge donné, il y a une chute de cette performance, suivie d’une nouvelle croissance” (Bresson, 1977). De tels constats se rencontrent dans des domaines divers. Ainsi le comportement de pédalage du nouveau-né, “pré-figuration” de la marche, disparaît au bout de quelques semaines, mais son entraînement systématique peut accélérer le comportement de marche (André-Thomas, Sainte Anne Dargassis, 1952). » (1)

Lorsque le chercheur pose un sujet d’étude, il est loin d’être connecté aux causes de son choix. Pourquoi est-il intéressé par la constitution des « acquisitions consolidées » ? Sans doute parce que la valeur suprême de notre civilisation est l’érudition. Pour ne pas remettre en cause cette exigence extrême imposée au détriment de la réalisation de la conscience, il faut la porter aux nues de telle sorte que le plus grand nombre demeurât dans une croyance de nullité. L’astreinte étant posée et imposée, le chercheur peut construire de nouveaux concepts sans risque d’être terrorisé par l’accueil de sa propre humanité.

Pour cela, il lui faut « constater », une action déterminée par une sélection découlant elle-même de son histoire personnelle. La sélection permet de justifier toutes sortes de constructions d’idées, comme ici la notion d’« anticipation fonctionnelle ». L’anticipation est l’action de prévoir ce qui va arriver et d’y adapter par avance sa conduite. C’est aussi le fait de disposer de quelque chose qui n’existe pas encore. Pourtant, l’enfant est en plein développement de toutes ses potentialités. Dans le sein de sa mère déjà, il « pousse » avec les pieds la paroi du ventre maternel. Certaines mamans, disponibles et présentes, portant leur bébé dans un kangourou, placent leurs mains sous la plante de ses pieds et celui-ci, sentant cette présence, découvre avec joie la force de ses jambes. Ces interactions n'ont pas d'objectif à long terme, mais elles ont pour effet que les bébés marchent aux environs de neuf mois. L’enfant rarement porté, abandonné dans son berceau, privé de présence et d’attention marchera seul vers treize ou quatorze mois, voire plus.

 

Adaptation et « constructivisme »

Notre auteur parle ensuite d’« entraînement systématique ». Quel est son objectif ? Dans quel désir de performance est-il pris ? Quelles furent les conditions relationnelles de son enfance ? Les scientifiques nient que leurs recherches, leurs observations, leurs expérimentations, leurs conclusions sont entièrement conditionnées par les circonstances traumatisantes de leur enfance, par leur désir non conscient de retrouver l’exercice de leur conscience. L’une des conséquences de leur entêtement est que les mères deviennent des « éducatrices » et perdent leur sensibilité aux besoins réels de leur enfant, à sa satisfaction harmonieuse, tant elles sont envahies par des principes.

Le cours de psychologie Dunod pose l’état d’adulte comme référence et première grille d’analyse. « Le développement de l’enfant se définit alors comme le chemin parcouru pour réduire la distance entre l’enfant et l’adulte, comme un processus d’approximation d’un stade final jugé indépassable et qui fournit le modèle à atteindre. Par rapport à cet étalon, l’enfant ne peut être envisagé qu’en termes de manque, d’inadéquation, de faible capacité. Si un tel point de vue est initialement peu évitable et s’il révèle bien une partie de la réalité, il doit être immédiatement complété par la recherche des constituants d’une organisation mentale qui correspond aux moyens mobilisés et mis en œuvre par l’enfant affrontant une réalité à laquelle il doit s’adapter, rencontrant des problèmes qu’il doit résoudre. » (2)

Un tel point de vue est conditionné par les exigences subies dans l’enfance et par la terreur de remettre en cause ce regard parental tellement réduit et réducteur. L’immédiateté est utilisée pour empêcher le lecteur de démasquer un montage linguistique qui dénigre les potentialités de l’enfant pour mieux amener une forme d’adaptation hautement valorisée par le seul intérêt que lui porte le chercheur. Ce dernier ne fait que justifier son regard sur l’enfant et sur lui-même. Il dénie à l’être humain toute sa sensibilité consciente, sans laquelle il n’y aurait aucun espoir de libération. Bien qu’il semble reconnaître la dureté des situations que l’enfant affronte, il pose celles-ci comme une réalité à laquelle le jeune doit s’adapter et non comme des constructions névrotiques à résoudre. Cette attitude dissimule la terreur de remettre en cause les modèles parentaux et de réaliser le supplice que vivent les enfants dans cette ambiance méprisant la vérité autant que les sentiments, les émotions, l’affectivité et toutes les subtilités qui permettent la réalisation de la conscience. L’approche constructiviste est donc une construction qui se justifie elle-même en posant comme naturelles les conditions névrotiques de vie de l’enfant, dans le but d’exploiter ses potentialités au profit de relations de pouvoir.

 

Manipulation des comportements

Dans le cours de psychologie Dunod, il est rappelé à l’étudiant que « les diverses conceptions du développement de l’enfant constituent un outil plutôt qu’une description “objective” et intangible» Cette pseudo ouverture est une parade qui tend à considérer comme dogmatique toute approche alternative qui remettrait en cause le « constructivisme ». Elle cache la promotion systématique d’expérimentations au cours desquelles les chercheurs manipulent les besoins essentiels des animaux ou des hommes pour provoquer des réponses, afin d’élaborer des conclusions qui ne prennent en compte ni les manipulations subies ni le déni de conscience mis en oeuvre.

Ainsi ceux-ci osent-ils utiliser des bébés comme sujets d’expériences sans se soucier des conséquences. À la suite d'Ivan Pavlov (1849-1936), le psychologue comportementaliste américain John B. Watson (1878-1958) associa par exemple à la présence d’un rat blanc un bruit effrayant, pour terroriser un bébé servant de cobaye. Il répéta cette sinistre mascarade assez longtemps pour qu’à la simple vue du rat l’enfant soit effrayé… Une peur que ce dernier gardera toute sa vie s’il n’a pas la détermination de se positionner face à ce qu’il a subi, lors d’une psychothérapie par exemple. La conclusion de ces expérimentations despotiques fut que « la personnalité toute entière de l’adulte [devait être] interprétée en termes de montage de conditionnements [afin de] maximiser les effets formateurs et modeleurs – notamment sociaux – qui exercent une forte pression vers la conformité adaptative. » (3)

Réduire des êtres à leurs réactions à des stimuli a donc pour but de renforcer une relation de pouvoir sur l’autre, toutes ces mises en scènes ayant comme seule réalité de refouler en rejouant sa propre histoire. Les représentants du Pouvoir savent très bien que l’adaptation est engendrée par la terreur infligée à l’enfant qui, dès lors, obéit aux exigences éducatives. Mais pour amener l’être humain à se soumettre à des tâches ciblées sans responsabilité extérieure apparente, il faut expérimenter des types de traumatismes ayant pour finalité d’obtenir des comportements adaptés aux exigences du moment. Pris dans cet engrenage, l’être humain ne peut alors plus réaliser la conscience.

 

Négation de la conscience

Le relais est saisi par le psychologue comportementaliste américain Burrhus F. Skinner (1904-1990), déterminé à montrer que « l’individu participe par sa propre initiative aux contraintes qui s’exercent pour le former ». Il introduit le concept de « conditionnement opérant » : le stimulus efficace est alors celui qui est « provoqué par la réponse », comme dans le cas d’un rat qui appuie sur un levier pour accéder lui-même à la nourriture, renforçant ainsi son conditionnement. Le point central de cette approche est « l’affirmation que les conduites supérieures se ramènent par décomposition à des assemblages de réflexes élémentaires, [et que] l’homme étant en continuité avec les autres animaux, l’étude des comportements animaux suffit à déceler les mécanismes fondamentaux des réponses humaines. » (4) Inutile, dès lors, d’essayer de retrouver le plein exercice de sa conscience, cette dernière n’existant pas. Sa réalisation n’est donc que fabulation, voire hérésie si ce n’est hystérie. Il s’agit d’assimiler l’homme à un animal domestiqué afin de le choquer suffisamment pour qu’il ne revendique plus jamais d’être reconnu conscient.

La théorie du développement psychologique réduite à une théorie de l’apprentissage – est alors définie par « les changements qu’un organisme accomplit progressivement dans ses interactions avec l’environnement » (Bijou et Baer, 1961), ce qui est très darwinien. Pour ces promoteurs de la relation de pouvoir, il s’agit alors d’imposer l’idée que l'adulte est exclusivement responsable des contraintes dans lesquelles il vit et de celles qu’il subit. Ne voulant pas prendre en compte les conséquences dramatiques de leurs décisions, ils sont toujours effrayés par la forme que pourraient revêtir d’éventuelles contestations et verrouillent alors toute remise en cause.

 

Pouvoir et subventions

Même un Sigmund Freud (1856-1939), pris en otage d’ouverture au milieu de la promotion du comportementalisme et du cognitivisme adaptatifs, ne peut permettre de saisir les enjeux relationnels mis en scène. Pour lui, l’élaboration des activités de connaissance est inséparable de la construction de l’organisation libidinale et de celle de la personnalité. On se retrouve avec une composante sexuelle envahissante du fait de la problématique de son auteur. Les « stades oral, anal, phallique et oedipien » sont des injures à la conscience de l’enfant réduite à des pulsions sexuelles dominantes. Une science qui légitima bon nombre d’exploiteurs de la sensualité et de la sexualité de notre jeunesse pour exciter l’impuissance des adultes.

Et John Bowlby (1907-1990) de rajouter : « D’emblée, le nouveau-né dispose de schèmes comportementaux tournés vers autrui, destinés à obtenir son attention et sa présence (cependant que de son côté l’adulte dispose de schèmes qui lui permettent de percevoir et de répondre à ces sollicitations). » (5) La conclusion de ce chercheur est que : « L’attachement s’établirait sur la base d’un besoin d’autrui, qui serait primaire et d’importance toute aussi vitale que celui de nourriture. »

Le nouveau-né porte alors ce qui devient « ses » besoins, la responsabilité de leur satisfaction dépendant de son aptitude à interpeller les adultes… à condition que leurs schèmes de comportements soient opérationnels ! Toutes ces recherches justifient et légitiment le pouvoir et sa hiérarchie relationnelle sanctionnée par l’argent, les possessions et la capacité de celle-ci à les défendre, manifestation extrême de notre impossibilité à défendre, enfants, notre intégrité et notre élan de réalisation. Aucune recherche dans le sens de la réalisation de l’être ne peut être portée par ce pouvoir qui ne subventionne que ce qu’il peut récupérer et qui le légitime.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 03.2006 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) R. Ghiglione et J.-F. Richard, Cours de psychologie 2, bases, méthodes et épistémologie, éd. Dunod, Paris, 1999, p. 17.

(2) Ibid., p. 22.

(3) Ibid., p. 24.

(4) Ibid., p. 25.

(5) Ibid., p. 27.