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L’enjeu du sens à l’école

par Sylvie Vermeulen

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 22 (octobre 2005)

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : Aujourd’hui, l’école peut devenir un enjeu pour l’humanité pourvu qu’elle réalise ses projections sur la nature de l’homme. Ceci lui permettrait de reconnaître les enfants comme étant des êtres conscients.

Pour cela, il lui serait nécessaire de discerner le processus de réalisation de la conscience, d’une part, de la gestion des traumatismes et de leurs remises en scènes, d’autre part. La découverte du monde est actuellement supplantée par les schémas comportementaux des adultes et par l’histoire de la névrose humaine, d’où la nécessité de saisir le sens de celle-ci en décelant ses causes. Il est donc important de faire l’historique de cette névrose collective en parcourant ses chaînes de causalité afin que l’enfant puisse comprendre ce qu’il vit.

 

Éduquer ou réaliser

S’ils veulent prendre en compte la réalité psychique de l’être humain, les enseignants devraient, par exemple, discerner : éduquer de réaliser, manipuler de respecter, imposer de confirmer. L’étude de l’histoire de la langue française est révélatrice des manipulations de sens opérées pendant des siècles. Le sens d’éduquer, par exemple, fut emprunté au latin educatio désignant l’« action d’élever des animaux et des plantes », d’où découle la « mise en œuvre des moyens propres à former un être humain ». Educatio vient de ducere « tirer à soi », lui-même issu de dux « chef ».

La violence éducative était alors si répandue et admise qu’elle était sous-entendue. Aujourd’hui, elle est relativisée sinon communément déniée, notamment dans le sens général de « diriger la formation de quelqu’un par l’instruction et la pédagogie ». L’exigence éducative manifeste pourtant un rapport de pouvoir et un comportement violent. Elle implique que l’adulte se soit structuré une légitimité à rejouer sur l’enfant les violences subies tout en déniant qu’il s’agit de violences.

Mais la nature de l’être humain est de réaliser. Ce verbe est dérivé de réel qui signifie « ce qui est, existe effectivement ». Dans son sens courant, réaliser s’oppose à idéaliser. D’abord chez les traducteurs d’anglais, le verbe a pris la valeur de l’anglais to realize « se rendre compte avec précision, exactitude ». Pour accompagner les enfants dans la réalisation du monde et de leur conscience, l’adulte doit savoir discerner ce qui relève de la nature humaine de ce qui découle de la torsion qu’elle a subi.


Manipuler ou respecter

Employé couramment au sens de « manier et transporter », le verbe manipuler prit le sens figuré d’« arranger par des moyens occultes et suspects » et plus généralement d’« influencer quelqu’un à son insu », ce que font tous les pédagogues.

À l’opposé, le verbe respecter, emprunté au latin respectare « regarder derrière soi », eut d’abord le sens de « prendre en considération ». Respecter signifia plus tard « avoir de la déférence, des égards pour quelqu’un » et « observer scrupuleusement ce qu’il convient de faire, ce qui est prévu », usages dont procèdent des acceptions comme « ne pas abîmer », « ne pas troubler ». La signification de ce verbe a été construite sur le sentiment de ne pas avoir été respecté, si bien qu’il est aussi utilisé pour imposer des règles morales ou de propriété. À l’école, l’enfant est amené à observer scrupuleusement ce qu’il convient de faire, ce qui est prévu, alors que ce sont les adultes qui devraient sentir scrupuleusement ce qui est prévu par la Vie elle-même. Ceux-ci ne prennent pas en compte la nature de l’enfant qu’ils ne devraient ni abîmer, ni troubler, ni même scandaliser par leurs passages à l’acte.

Il en va de même des verbes confirmer et imposer. Le premier, qui d’après son sens donne à l’enfant « l’assurance qu’il est dans la vérité », est supplanté par le second qui le déstabilise dans cette assurance naturelle. Celui-ci implique un mouvement de refoulement qui « attribue faussement quelque chose à quelqu’un », sens de son premier emploi attesté. L’école est en cela l’œuvre d’un refoulement collectif. C’est pourquoi les parents trouvent normal de voir leurs enfants subir la structure scolaire et exécuter les exigences des enseignants.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 09.2005 / www.regardconscient.net


Échec et exclusion

Les enseignants devraient considérer l’échec et l’exclusion dans la perspective des rejouements familiaux et sociaux.

Le concept d’échec découle de celui d’inégalité qui a été fondé sur des différences - à commencer par «petit» et «grand» - utilisées pour justifier un rapport de pouvoir déniant nos caractéristiques communes. C’est donc une relation perturbée à la réalité qui fut ordonnée socialement de telle sorte qu’elle justifiât la hiérarchie et son cortège d’inégalités sociales, au détriment du rapport naturel de l’être humain à la Vie.

Dès lors, l’épanouissement de la nature enfantine est mis en échec parce que l’enfant qui incarne cette nature est dans l’impossibilité de la réaliser, du fait des obstacles relationnels posés par les adultes. À l’école, les enseignants sont agacés lorsque l’enfant manifeste les conséquences de ces obstacles, qui l’empêchent de prendre en compte les impératifs attachés à la gestion de la névrose collective de son époque.

La terreur de l’exclusion n’existe qu’à cause de la distribution des rôles dans les rejouements familiaux. L’action de tenir quelqu’un à l’écart, de le repousser, de le rejeter engendre la crainte et oblige l’être à se soumettre. Sur le plan social, cette souffrance commune est manipulée dans le but de mener les hommes. Le corps social désigne alors des boucs émissaires prédisposés par leur milieu familial et les mène à cette manifestation extrême qu’est l’exclusion.

C’est pourquoi il est déterminant pour le devenir de l’humanité de prendre en compte l’histoire personnelle de chaque enfant, c’est-à-dire ses origines sociales, l’histoire de ses parents, les conditions de sa conception, de sa naissance, les mutilations subies, le rapport relationnel imposé dans sa petite enfance et ses traumatismes relationnels, afin de mettre au jour les schémas comportementaux dans lesquels il est enfermé par l’aveuglement des adultes et qui l’empêcheront d’exercer sa conscience, de jouir de sa vie au sein de la communauté humaine et d’y être actif pour la satisfaction de tous.

La relation de l’homme au nouveau-né serait alors complètement différente. Les adultes verraient qu’ils saisissent les comportements de l’enfant et les interprètent pour justifier leurs passages à l’acte. Ce sont donc ces derniers qu’il leur faut résoudre en les connectant à leur cause.

S. V.