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Protéger l’intégrité de la vie

par Sylvie Vermeulen

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 19 (février 2005)

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : L’action de protéger nécessite une présence qui ne peut souffrir de préoccupations constantes. Le cas échéant, la protection n’est plus qu’intermittente, relative, voire enjeu de pouvoir.


L’Homme mortel réalise l’immortalité de la Vie en enfantant. Dans Le Seigneur des Anneaux, le réalisateur Peter Jackson fait dire au roi Theoden : « Aucun parent ne devrait avoir à enterrer son enfant» (1) Le scénariste utilise une évidence pour entériner un mode de refoulement qui interdit l’évocation de la responsabilité du père dans la mort de son enfant. Theoden représente l’homme de pouvoir qui transmet à son fils un rapport hiérarchique. Dans les faits, ce mode relationnel ne protège pas l’enfant, mais réduit sa réalisation à des apprentissages qui l’enferment dans des rôles entièrement ajustés aux schémas parentaux. Cette éducation au refoulement emprisonne l’exercice de la conscience de l’enfant dans le cadre des rejouements, au point que, devenu jeune adulte, celui-ci peut aller jusqu’à manifester le sacrifice de sa réalisation en mourant dans des combats entièrement orchestrés par les adultes de son enfance.


Dérive relationnelle

Emprunté au latin protegere qui signifie « couvrir en avant, devant, abriter », le verbe protéger a le sens figuré de « garantir ». Glissant de l’idée de risque à celle d’appui, il prend à l’époque classique le sens de « faciliter la carrière de quelqu’un », dont procède l’expression « entretenir une femme » (2). Cette dérivation de sens n’éveille aucune prise de conscience chez les linguistes. Elle révèle pourtant que la protection est l’enjeu d’un rapport de pouvoir. Pour saisir cela, il faut sentir ce que signifie une relation de pouvoir, il faut accueillir ce qui, dans les rapports humains, a fait souffrir. Dans l’acte d’accueillir, il n’y a pas de jugement, de condamnation, de logique moralisante ou d’interprétation erronée. Une fois dépassées les projections sur le présent, nommer son senti avec précision permet de discerner ce qui a été de ce qui aurait dû naturellement être. Mais lorsque nous refusons que l’expression de la souffrance de l’enfant puisse être l’indicateur d’un malaise relationnel qui, non résolu, aura des conséquences, nous condamnons celui-ci à se soumettre à notre structure de pensée. C’est pourquoi, s’il n’y a pas remise en cause de ce refus, il y a complexification de la gestion du refoulement et structuration du Pouvoir.

 

La nature, support de projections

En Asie du Sud-Est, après le passage du tsunami, des parents furent désespérés de n’avoir pu protéger leurs enfants. Cette impuissance a bien une cause, mais les conséquences du refus de la résoudre en son temps a tissé l’histoire de l’Humanité. Un consensus général intensifie les peurs déjà posées sur l’accueil nécessaire à sa résolution. Au Sri Lanka, tous les animaux d’un parc naturel avaient déserté la zone avant l’arrivée des vagues. Des éléphants brisèrent les chaînes qui les entravaient pour s’éloigner des côtes (3). La prestesse de ces animaux leur a permis de se mettre à l’abri comme nous pourrions naturellement le faire et comme nous le faisons pour certaines intempéries.

Les chaînes de ces éléphants n’auraient jamais été fabriquées par l’homme si celui-ci n’entretenait pas en lui-même celles de l’attachement, de la dépendance, de la possession et de l’exploitation. Lorsque nous refusons de prendre conscience des causes réelles de nos souffrances, nous rejouons ces causes en les projetant sur des supports, vis-à-vis desquels nous entretenons un violent attachement. La nature est un de ces supports. Plus l’homme veut la maîtriser, plus il manifeste un rapport schizophrénique avec son environnement naturel. Lorsque celle-ci bouge en fonction de ses propres lois, elle est alors considérée comme « meurtrière » et jugée coupable de « catastrophes [dites] naturelles » et de « drames humains ».

 

Refus meurtrier

L’homme refuse d’admettre que le retournement des parents contre les besoins naturels de l’enfant est dévastateur. Il refuse de réaliser que ce comportement engendre un processus de libération qui n’a de cesse de s’accomplir, et refuse de voir ce qu’il est capable de mettre en scène pour retrouver l’exercice de sa conscience. Lorsqu’il se pose en victime face à des phénomènes naturels d’une telle ampleur, il se sent envahi par de profonds sentiments d’impuissance, de dépossession, de colère, d’accablement… Mais c’est justement le refoulement de ces sentiments, occasionnés à l’origine par le déferlement d’incohérences parentales complètement terrorisantes, qui l’empêche d’être présent, de sentir et de s’éloigner des côtes.

Nous sommes dramatiquement fidèles aux comportements que nos parents nous ont imposés pour assurer le refoulement de leurs souffrances. Par notre refus de connecter traumatismes, causes et conséquences, nous sommes littéralement possédés par les rôles que nous jouons dans nos mises en scène. Nous prenons le présent en otage et sommes donc indisponibles à protéger notre vie et celle de nos enfants. Le sédentaire est attaché à ses possessions, le vacancier à ses vacances, le photographe à ses clichés, le marchand à la vente de ses marchandises. Ne remettant rien en cause, tous sont identifiés. Nous subordonnons ainsi notre sensibilité à l’exercice réduit de fonctions. Nous transférons la protection qui revient à notre vie et à notre réalisation sur des supports matériels de compensation qui garantissent nos refoulements et, en fin de compte, notre propre dégénérescence.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 01.2005 / www.regardconscient.net

Notes :

(1) Peter Jackson, Les Deux Tours, chapitre 17, des simbelmynë sur les tombes.

(2) Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998.

(3) Tsunami vu par la presse asiatique, Courrier international No 740, 12.1.2005.