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Nos enfants sont-ils « démoniaques » ?

par Marc-André Cotton


Résumé : Une récente couverture de magazine illustre la manière dont les adultes travestissent la conscience spontanée de l’enfant et posent les bases d’une remise en scène de souffrances relationnelles non résolues.


Dans son édition du 11 novembre 2004 (image ci-dessous), la revue suisse romande L’Hebdo présente la figure imposante d’un bambin, affublé de cornes et d’une queue fourchue, s’interposant entre ses géniteurs, surmontée de cette phrase accusatrice : « Pourquoi les enfants tuent le couple. » À l’intérieur, un article de quatre pages détaille la « bérézina conjugale » que provoquerait la naissance d’un premier bébé. « L’enfant est le pire ennemi du couple », avance par exemple un thérapeute de famille cité dans le texte. D’après certaines études universitaires, il pousserait ses parents à la rupture et serait même à l’origine d’un processus de dégradation relationnelle mesurable selon quatre « indices de fragilisation » (1).


Projection

En attribuant à l’enfant l’origine de leurs problèmes conjugaux, les adultes peuvent justifier le rejouement de vécus familiaux non résolus.

(L'Hebdo No 46, 11.11.2004)


Incarnation du démon

Cette volonté affichée d’impliquer l’enfant dans les difficultés relationnelles des adultes est révélatrice, parce qu’elle est à l’origine de la transmission générationnelle des problématiques familiales. En effet, les enfants deviennent les récepteurs involontaires de souffrances non résolues, dont les parents et éducateurs ne reconnaissent pas l’origine dans leur propre histoire et qu’ils projettent sur leurs descendants, contraignant ces derniers à remettre eux-mêmes en scène ce vécu refoulé.

Il n’y a pas si longtemps, les tenants d’une éducation dite chrétienne justifiaient par exemple de battre leurs enfants en affirmant qu’ils étaient l’incarnation du démon, la manifestation du Mal. En réalité, ces éducateurs ne faisaient que reproduire la violence de leurs propres parents, dans l’espoir de refouler l’immense souffrance d’avoir été eux-mêmes frappés, humiliés, plutôt que reconnus dans leur conscience spontanée. La présence d’une figure d’enfant démoniaque sur la couverture d’un magazine contemporain indique que cette problématique éducative collective n’est toujours pas résolue.

 

Parents « victimes »

Plusieurs indices permettent de penser que les difficultés conjugales dont L’Hebdo se fait l’écho, bien que réelles, ne sont pas imputables à l’enfant mais au manque de positionnement des jeunes parents face à leurs histoires familiales respectives et à l’absence de toute remise en cause de leurs propres parents. À défaut d’un tel travail de conscience, le nouveau-né exprimant naturellement ses besoins finit par incarner à leurs yeux un parent exigeant et normatif – le trop fameux « tyran domestique » – qu’ils vivront en victimes. Ils pourront alors se justifier de remettre en scène avec leur bambin les circonstances par lesquelles leurs propres besoins relationnels ont été méprisés dans l’enfance.

Les parents cités par L’Hebdo ont en commun de ne pas savoir rendre à leurs parents – et à l’éducation que ces derniers leur infligèrent – les sentiments qui les submergent au contact de la vitalité de leurs enfants. Jérôme regrette une perte de spontanéité : « L’amour debout dans le couloir, les beuveries, c’est fini. » Daniel se sent évincé : « J’ai été expulsé de la chambre à coucher. » Laurence est submergée : « Les enfants ont tout balayé comme une vague. » Prisonniers de concepts éducatifs mensongers et de représentations erronées de ce qu’est le couple, ils se refusent à reconnaître cet extraordinaire révélateur qu’est l’enfant et à mettre en cause les injonctions parentales qu’ils ont dû intérioriser sous la terreur.

Marc-André Cotton

© M.A. Cotton – 12.2004 / www.regardconscient.net

Note :

(1) Lire Sabine Pirolt et Sonia Arnal, Cet enfant qui tue le couple, L’Hebdo, 11.11.2004.