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Les coulisses de la démocratie

par Sylvie Vermeulen

Cet article est paru dans la revue Regard conscient No 18 (novembre 2004)

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.

Résumé : Les promesses qui ont dynamisé la mise en place des systèmes démocratiques avaient pour fonction inconsciente de dissimuler la persistance de structures politiques coercitives. Aujourd’hui, ces systèmes révèlent les bases sur lesquelles ils ont été édifiés : délitement des liens relationnels, misère et impérialisme.


L’adulte vit l’enfant comme étant sans lien spirituel avec son lignage, sans passé, sans mémoire et sans signification pour l’ensemble de la création. Il l’inscrit dans un unique discours afin de le formater aux exigences de la société à venir. Dès lors, l’enfant devient le produit de l’utilitarisme égoïste d’une population désormais réduite aux soucis d’argent et à la recherche d’excitations en tous genres. La résignation de pères dont la bienveillance est perdue dans la réitération de leur histoire et l’indisponibilité de mères occupées à conquérir l’espace masculin, vouent le jeune adulte à servir un système qui, dans le prolongement de son enfance et de son adolescence, continue de lui interdire la réalisation de sa conscience, occasionnant chez lui un stress exténuant qui provoque sa dégénérescence.

 

Société dépressive

La force brutale des parents, du corps médical et du corps enseignant, qui est imposée à l’enfant à chaque instant, engendre une culpabilité chez les intervenants que ces derniers tentent d’apaiser en raisonnant l’enfant. Celui-ci doit comprendre le comportement des adultes et adhérer à leurs raisons. La subtilité qui fait advenir ce qui, malgré la manipulation, reste un prodige, est la conscience dont l’existence est pourtant ignorée par tous ces éducateurs. Dans le cruel déni de cette conscience, la raison, conçue par la volonté de justifier la domination, est saisie comme substitut. Ainsi le parent, puis la société, manipulent l’enfant terrorisé et le modèlent au gré des rôles nécessaires à leurs schémas relationnels. Les hommes engendrent alors des communautés dépressives qui ne croient plus en elles-mêmes car elles luttent, à travers chacun, contre leur propre processus de libération et de réalisation, notamment en se contentant de luttes économiques pour compenser une quête de sens. Il est pourtant impératif de réaliser cette conscience, afin qu’elle ne puisse plus être manipulée par la gestion du refoulement des traumatismes rejoués compulsivement de génération en génération.

 

Étroitesse de la raison

L’histoire des peuples s’est faite à travers des mises en scène dans lesquelles la terreur de rester conscient face au père rendait inopérante toute prise de conscience. Périodiquement, la classe dominante se trouvait menacée par les raisonnements qu’elle avait elle-même mis en place pour justifier sa condition. C’est pour cela que les aristocrates athéniens étendirent la discussion à un plus large public d’hommes. Pour garder leur fonction, ils cherchèrent à entendre le bon sens partagé et à en nourrir leurs raisonnements afin d’obtenir, pour toutes leurs décisions, l’adhésion populaire. Ils voulaient éviter les soulèvements de tous ceux qu’ils réduisaient, d’une façon ou d’une autre, à l’état d’esclaves et ainsi mieux protéger leurs intérêts particuliers. La représentation dite démocratique correspond donc à celle des scénarios masculins dominants. Au demeurant, il n’y a pas d’autre représentation que celle-là, l’homme réalisé n’ayant pas besoin de figures représentatives de sa conscience puisqu’il est lui-même ce représentant. Par contre, l’homme névrosé a besoin de figures jouant des rôles similaires à ceux qui occasionnèrent ses traumatismes et l’aveuglement qui s’en suivit.

Ainsi, celui qui « lutte pour la liberté » joue un rôle dans la mise en scène du Pouvoir. Il nourrit l’emprise de ce dernier, surtout si cette liberté est réduite à la « jouissance des droits accordés à tout citoyen » (1). La liberté que nous pouvons retrouver est celle de jouir de notre nature en nous reconnectant avec cette nature. Au lieu de cela, les hommes complexifient leur dialectique avec de nouveaux concepts formant un ensemble appelé raison. Cicéron définissait le mot ratio comme « le pourquoi d’une chose, tel qu’un homme se l’explique » et le distinguait de causa, la « cause réelle ». Ne pouvant discerner leurs schémas relationnels d’une conscience réalisée, les hommes justifiaient et innocentaient leurs rejouements à travers leurs raisonnements. Pourtant, ceux-ci manifestaient encore et toujours, dans l’application des décisions parentales ou gouvernementales, les conséquences d’une conception erronée de la vie. Et cela, avant que les décideurs ne s’en repentissent et ne recommencent : nous tournons donc en rond et nous faisons croire que nous évoluons.


Différence, complémentarité et égalité

Par nature, les humains ne peuvent être qu’omniscients. Ils ne sont pas complémentaires, comme on voudrait nous le faire croire. Sans contraintes, ils prendraient place au sein de la communauté là où leur vie véhicule l’harmonie, si bien que toutes leurs facultés, base de leur polyvalence, seraient toujours reconnues. La conception de la complémentarité recroqueville la grandeur de l’Homme dans des rôles imposés dès l’enfance et sanctionnés par des formations et des professions issues de cette réduction.

De même, la notion d’égalité se définit sur le déni de notre essence commune. Elle a été conçue pour manipuler l’espoir d’être un jour reconnu en tant qu’être conscient, vivant le sentiment d’être ensemble. Aujourd’hui, elle sépare les hommes face à une autorité qui, elle, devrait, selon la définition démocratique, garantir les mêmes droits pour tous et des conditions de vie égales. Mais celle-ci leur interdit avec violence de remettre en cause les rôles et donc de toucher à la mise en scène. L’égalité a été une tentative de supprimer les souffrances de l’exploitation de l’homme par l’homme, mais n’a pas été la résolution de ce qui pousse les hommes à s’enfermer dans des rôles. Ces derniers sont donc condamnés à manifester les incroyables différences de conditions de vie et les non moins incroyables inégalités devant la loi, malgré tous leurs discours.


Libre marché

Nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité et notre système de libre économie ont été conçus par le même usage de notre conscience. Ils témoignent de la constante confrontation entre la soif de résoudre la problématique humaine et la compulsion à trouver de nouveaux profits, selon l’idée triomphante que la richesse engendre un pouvoir très compensatoire. Pour contrecarrer leur culpabilité, les classes dominantes y substituent toujours – en leur for intérieur – la croyance en l’inégalité naturelle des hommes et donc la négation de l’affection fraternelle innée. Leur conception de l’économie utilise nos différences de couleurs, de formes et d’expériences d’environnements divers – toutes les richesses réelles témoignant de l’omniscience de l’être humain – pour exploiter des rapports de force racistes dans le but d’imposer leurs schémas relationnels au lieu de les résoudre.

Aujourd’hui, l’humanisme conquérant persiste à mépriser les remises en cause en les présentant comme de simples différences, plus ou moins respectables, dès lors qu’il peut en paralyser le dynamisme dans son système de valeurs en les réduisant à des choix supplémentaires. Nous ne résoudrons pas les causes de la souffrance humaine en prenant les représentants de ces remises en cause comme porteurs de différences afin d’assouvir nos besoins névrotiques.


Organiser et ordonner

Les hommes prirent en compte deux plans d’action concomitants. Devant agir afin de préserver leur vie physique et la continuité de l’espèce humaine, ils organisèrent leurs rejouements en fonction de ces impératifs. L’économie, conçue naturellement pour la satisfaction des besoins essentiels des membres de la communauté, fut alors prise en otage par les plus déterminés à installer leur structure névrotique comme mode relationnel. Ils remirent en scène les scénarios de leur propre histoire et, ayant l’interdiction de les résoudre, les imposèrent à un nombre toujours grandissant d’êtres humains. Par conséquent, les rapports relationnels évoluèrent dans une structure de pouvoir de plus en plus élaborée, d’abord vécue comme inhérente à la nature humaine.

Au vu de ce qu’il poussa l’homme à commettre, le pouvoir est aujourd’hui présenté comme un projet démocratique sur la base duquel s’agrègent les sujets et les acteurs qui se définissent à partir de ce projet. Le vocabulaire de l’auto-assujettissement s’embrase, mais l’enjeu reste le même : la déstabilisation de la conscience humaine au profit de la croyance, communément répandue chez les hommes, en la nécessité d’un rapport de pouvoir et donc d’une hiérarchie de pouvoir.

Le petit garçon a été placé dans la douloureuse position d’attendre que son père prenne conscience des causes réelles des perturbations de sa vie intérieure. Devenu adulte, il attend des gouvernants des prises de conscience dans l’espoir que ces dernières les mènent à une reconnaissance réelle de sa nature, alors que ceux-ci gèrent la névrose collective en prenant leur résilience comme référence.

Il n’est nul besoin d’organiser ni d’ordonner au mieux la demeure des hommes. Leur faculté à rejouer – à des fins de réalisation – leur souffrance dans les moindres détails, les assure de leur capacité, une fois libérés de leurs occupations névrotiques, à ordonner et à organiser leur vie sociale aussi naturellement que l’est leur propre corps physique.

 

Dictature des intérêts privés

L’enfant, né libre d’exister, de se développer et de se réaliser au sein d’une mère disponible et totalement sécurisante, est maltraité, isolé, contrôlé, pacifié, séduit, ébloui, conditionné, dépolitisé, individualisé et réduit à l’état de consommateur soumis à l’ordre parental et social. Père et mère forment un groupe de pression inébranlable face à l’enfant, d’où la dépression qui souvent se révèle dès l’adolescence. Les croyances et les valeurs éducatives ordonnant leurs rejouements sont garanties par des moyens de contraintes socialement admis, leurs remises en cause sanctionnées par leur légitimité :  traitements inappropriés, coups, chantages pratiqués sur la satisfaction des besoins essentiels, éloignement (garderie, crèche, école maternelle, etc…). Le père est le fondateur de cette structure oppressive. En posant de plus en plus l’État entre lui et son fils, il peut se présenter comme victime d’un système, alors qu’il lui confie la tâche de briser une conscience qui le remet directement en question. Les causes de son pouvoir restent enfouies au sein de son silence filial, muselé qu’il est par la terreur de dire et même de concevoir la vérité en accueillant l’horreur qui s’est jouée dans son enfance.

La dictature des intérêts privés est le schéma le plus représentatif du rapport que les hommes ont eu avec leurs éducateurs. Les offres politiques actuelles sont toutes calquées sur le même modèle : capitalisme et droits de l’homme. Isolé par l’incapacité parentale de reconnaître leur nature, chacun a été contraint de se vivre comme responsable de ses conditions de vie et d’adhérer à une démocratie de prospérité et de marché pour rejouer et refouler sa misère relationnelle. Ceci s’est fait avec le consentement de tous, même des plus démunis qui ne remettent pas en cause leur situation, mais exigent un autre rôle dans un rejouement collectif qui, parce que la conscience est une et indivisible, ne peut fonctionner que s’ils représentent la misère de l’ensemble.

La reconnaissance de l’autre ne peut résulter de la soumission à des lois mais d’une écoute de ce qui empêche chaque être humain de reconnaître naturellement son pareil et son prochain. La société démocratique indépendante est donc une prétention d’hommes de pouvoir refusant d’être soumis à d’autres formes de pouvoir que le leur. Elle ne peut donc être ni juste ni libre puisque la justesse concerne tous les humains, tout comme la liberté d’être soi. Il n’y a donc en fin d’analyse qu’une seule humanité et une seule loi, celle de la vie.

Une société ne peut devenir plus juste sur le mensonge qui la fonde.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 11.2004 / www.regardconscient.net

Note :

(1) Les définitions sont extraites du Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998.