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Un complot social contre la sûreté de l’état de conscience

par Sylvie Vermeulen

Ce texte est désormais disponible dans l’ouvrage Le Génie de l’être et autres écrits, Le Hêtre Myriadis, 2021.


Résumé : Les adultes recherchent une maturité spirituelle dont ils massacrent minutieusement les éléments constitutifs chez les enfants. Pour interdire à ces derniers toute remise en cause, ils les impliquent dans leur système de refoulement et de compensation. Puis ils scellent le tout en transférant la terreur qu’ils ont de leurs parents sur une éventuelle introspection.

 

Si les êtres humains ne reconnaissent pas l’inhérence de la conscience en l’Homme intuitive chez l’enfant, vouée à être réalisée par l’adulte ils ne peuvent pas réellement reconnaître l’étendue des effets de son déni, pas plus qu’ils ne peuvent appréhender la complexité des souffrances de l’enfance, leurs véritables causes, les effets de leur refoulement, l’aveuglement occasionné et la prépondérance des rejouements dans le processus de libération de cette conscience. Par conséquent, ils ne peuvent pas comprendre l’importance de l’enjeu de ces rejouements ni les raisons des luttes à mort que se sont livrées, tout au long de l’Histoire, les différentes communautés pour imposer aux autres leur propre mise en scène.

Cette lutte commence au cœur des relations humaines, au sein même des groupes lorsque les hommes en souffrance utilisent leur force physique pour dicter aux plus faibles, aux femmes et aux enfants, les rôles indispensables à la mise en place de leurs propres rejouements. Cependant, la légitimité qui leur est nécessaire pour dominer les autres, comporte un principe humain sacré, celui de libérer leur conscience du poids aveuglant de leur refoulé en accueillant leurs sentiments, leurs souffrances, en mettant à jour leurs causes et en discernant les responsabilités individuelles et collectives, présentes et historiques qui les ont occasionnées. Les adultes ont failli à cette tâche. Au lieu d’accueillir et de reconnaître ce refoulé, comme leur sensibilité et leur conscience les y conviaient, ils optèrent puis adoptèrent d’imposer leurs rejouements, de les structurer et enfin de les humaniser pour parer à leur terrible culpabilité. Les hommes ont ainsi défié leur nature tout en édifiant entre autres les bases de nos sociétés occidentales.

 

Violences infligées au sein des familles

De génération en génération, de père en fils, les causes des vécus traumatiques refoulés (déni de la suprématie de la conscience en tout être humain, exercice compulsif du pouvoir, soumission) sont transmises par l’éducation. Le fils est le support du rapport qu’a subi son père de son propre père. Hormis ce qui a été saisi en conscience avant la naissance de chaque enfant, tout est rejoué. Comme le cadre de vie change, comme l’humain complexifie ses relations, les pères d’aujourd’hui se font croire, bien au-delà de toute réalité, qu’ils sont bien plus respectueux avec leurs enfants et notamment avec leur fils. En fait, c’est par le menu que l’enfant est envahi par la problématique du père. L’illusion d’une bonne entente entre père et fils est entretenue par tout ceux, et ils sont nombreux, qui veulent se faire croire qu’ils sont sincèrement horrifiés par les horreurs qui ont été commises durant des siècles par la gent masculine alors que, dans le présent, ils revendiquent de concert le statut que leur confèrent les conséquences psychologiques de ces horreurs sur les individus et sur les communautés. La violence du père qui tombe sur le fils est chargée de toute cette histoire non résolue. Elle est infligée au sein des familles et camouflée derrière des civilités, il n’empêche qu’elle est pleinement relayée. Et c’est sur cette base que le père établit la relation à son fils. L’impossibilité des jeunes à réaliser et à exprimer les tenants et les aboutissants de leur malaise existentiel, le respect apeuré qu’ils ont des Institutions et le nombre de fonctionnaires (publics ou privés) le manifestent crûment.

Je constate également que de génération en génération, de mère à fille, l’inadéquation des modes relationnels entre les sexes et les terreurs qu’elle inspira aux femmes et aux enfants sont toujours mémorisées, refoulées et agissantes. Les dynamiques misent en œuvre pour se libérer de ce poids n’étant pas reconnues, tout pouvoir, qu’il soit exercé par un individu ou par un groupe, les manipule au nom un pseudo équilibre constamment remis en cause par la vie elle-même. Les êtres humains ne veulent plus de ce genre de rapport qu’ils poussent, pour cette raison, jusqu’à l’écœurement. Cependant, ils répugnent à se pencher sur la condition humaine, sur la structure de survie affective élaborée dans l’enfer des relations, sur les lois qui régissent ce monde intériorisé, sur le processus de libération, sur la nature réelle de l’Homme, choses qu’ils pourraient faire simplement en accueillant leur propre histoire, celle de leur lignée et celle de l’Humanité.

 

Terreur de l’introspection

Pour sceller le tout, ils transfèrent la terreur qu’ils ont des Hommes sur une éventuelle introspection. Lorsqu’ils évoquent la peur de revivre leurs souffrances, ils projettent sur cette éventualité une horreur relative à celle qu’ils refoulent à chaque instant pour continuer à survivre dans l’espoir d’améliorer, demain peut-être, les conditions de leur vie. Ils connaissent pourtant le soulagement ou l’apaisement que procure les paroles, les pleurs, les colères partagés avec un(e) ami(e). Derrière cette résistance se trouve une autre peur, celle de constituer le monstre qu’ont induit leurs parents à force d’injonctions et de projections. Mais il y a plus terrifiant encore. En amont se trouve la terreur de réaliser qu’ils sont les représentants de la conscience qui émane de ce monde et dès lors, la terreur d’être placés face à la monstruosité du gâchis de leur vie et de celle de l’Humanité.

C’est sur un tel terrain psychologique que le Pouvoir propose des solutions qui assurent sa longévité, et c’est parce qu’elles l’affermissent qu’il apparaît comme sécurisant. Un exemple: les jeunes filles sont invitées de toutes parts à compenser les terribles frustrations vécues par leur mère avec des solutions élaborées par celle-ci et ceux de sa génération. Les adultes leur façonnent ainsi une fausse voie de libération et de satisfaction sur laquelle elles doivent sacrifier leur féminité et leur future place de mère aux exigences de formations qui, leur dit-on, leur permettront d’aller travailler comme les hommes et d’être ainsi, bien plus indépendantes et libres que leur mère. Elles doivent donc convenir qu’abandonner leurs enfants aux règles de survie de leur société est sans conséquence ni pour elles ni pour les générations futures. C’est le lourd tribut à payer pour être considérées par les hommes comme de vraies femmes. Les modèles à suivre leur sont imposés sur chaque panneau publicitaire et dans les mass médias.

 

Saccage de la relation maternelle

Les hommes d’aujourd’hui, forts du pouvoir instauré par l’Histoire collective refoulée, exigent de la société, des femmes et des enfants de compenser les souffrances entretenues par leur propre refoulement. Ils développent une innocence et une impuissance qui font le lit de leurs nouvelles exigences. Au lieu d’accueillir le sens de la vie, d’accueillir leur femme et leurs enfants tout en les protégeant, ils se glissent dans le lit de la jeune maman et exigent l’isolement de leurs propres enfants pour créer une situation dans laquelle ils vont compenser leur manque de parents conscients. Ils se mettent en concurrence avec leur propre fils pour obtenir de sa mère l’attention, la chaleur, la présence et la sécurité dont ils ont tant manqué : l’enfant est expédié dans sa chambre, à la crèche, à l’école mais surtout pas protégé dans une chaleur et une conscience maternelles qui combleraient son incarnation.

Les hommes affichent un mépris total face à ce genre de réalité, lui déniant toute véracité. Pourtant, face à la relation de la mère à son bébé, les hommes utilisent leur sensibilité pour déceler toutes les anomalies afin de se déculpabiliser d’y introduire leur problématique. Ce merveilleux moment que devrait être la présence de la mère à son bébé devient un cauchemar. C’est le lieu d’énormes remontées émotionnelles que l’éducation des hommes à laquelle, eux-mêmes adhèrent les oblige de nouveau à refouler, mouvement qui exige, lui aussi, son nouveau lot de compensations. Ainsi, l’homme achève de saccager ce qu’il reste de la relation maternelle au lieu de la protéger.

Pour compléter le tableau, les hommes présentent, aux femmes et à leur fille, le travail comme une voie de libération alors qu’ils en connaissent les règles humiliantes et insatisfaisantes. Le message est clair: « Si tu veux te libérer de mon emprise, va travailler, tu gagneras un salaire qui te permettra de te sentir libre des conditions et de la dépendance que j’installe vis à vis du mien. Va te confronter au patron, que mes ancêtres ont contribué à mettre en place et que j’entretiens de mon aveuglement, pour voir si c’est si facile d’obtenir de meilleurs conditions de travail et de vie». Mais ces fameux changements sont situés, par les hommes, dans un système de compensations de plus en plus complexe et non pas au niveau de la relation elle-même et de la libération personnelle. Ils opposent à la remise en cause, leur volonté de compenser. C’est pourtant en soi et dans la relation que le problème à résoudre se situe.

 

Le refus de voir

Le refus des adultes de voir les bases relationnelles qu’ils imposent aux enfants, aux ados et aux jeunes adultes est dramatique. Au lieu de réaliser l’ensemble du système dans lequel les ont impliqué leurs propres parents et la société, ils se présentent aux jeunes comme des victimes de l’exploitation, des humiliations, des réductions qu’ils s’infligent pourtant eux-mêmes pour conserver leur représentation sociale. Et pour le maintien de ces conditions de vie dont ils font porter la misère... aux voisins, ils exigent, sans sourciller, le sacrifice du bonheur de leurs enfants.

Sur cet aberrant étouffement de leur sensibilité et de leur vérité au nom de cette terrible soumission à la loi du Père, les hommes s’impliquent et impliquent leurs fils dans leur système de refoulement et de compensation. Pour leur interdire toute remise en cause, ils utilisent leur force physique contre le merveilleux amour et la superbe conscience spontanée de leurs jeunes garçons.

Devenus vieux, impuissants, humiliés par leur vieillesse, terrorisés par l’idée de la mort mais détenant les moyens de coercition du Pouvoir par l’expérience qu’ils ont acquise de la problématique humaine, les anciens manipulent et précipitent les jeunes sur des champs de batailles où l’exploitation de leur intelligence, de leur force physique, l’exhibition de leur corps et de leur mort n’ont d’autre raison d’être que celles de maintenir la base relationnelle établie par leurs propres parents et de soulager le gâchis de leur vie, par l’excitation que leur procure le sacrifice de la Jeunesse.

L’indescriptible jouissance du jeune garçon, croissant avec le développement de sa force physique, devient le support de tout le mal que les hommes ont rejoué dans l’Histoire. Les parents projettent inconsciemment sur le développement de cette force la responsabilité des terreurs passées. Ils s’imaginent, sans même le reconnaître, que s’ils laissaient l’enfant libre de toute crainte, de toute contrainte, de toute exigence, de toute humiliation, de tout dénigrement, ils seraient un jour face au Mal à l’état pur alors que ce sont tous ces dénis de la nature humaine qui ont poussé toutes les générations à remettre en scène leur désespoir, à construire des armées et à partir en guerre.

Sylvie Vermeulen

© S. Vermeulen – 05.2003 / www.regardconscient.net


Perversion de la nature humaine

Dans la société de consommation, la légitimité de tout exiger de soi et des autres pour compenser est clairement affichée. Le consommateur est fortement incité à écarter sa culpabilité et à devenir exigeant. Il doit s’installer, sans état d’âme, dans la légitimité de compenser en écartant toute velléité de résoudre sa compulsion. Il devient exigeant au niveau de la qualité des services et des produits. Il s’entraîne à revendiquer comme un droit l’exploitation totale des facultés humaines mises au service de sa compensation. Et lorsqu’il se trouve dans la position de celui qui doit exploiter ses facultés pour les mettre au service de la qualité du produit ou du service, il a alors de bonnes raisons de s’y soumettre puisqu’il revendique cette qualité pour lui-même. Comme les consommateurs exigent : service, présence, compétences, etc , de la part des ouvriers et des agents, ils se retrouvent dans la position des parents exigeants. Dans ce rapport extrêmement commercialisé, ce sont les moins rebelles à ce genre d’exploitation qui occuperont les postes de travail. Pour un vendeur, il s’agira d’accueillir le client en lui manifestant une large ouverture complètement axée sur l’achat éventuel d’un produit. Simultanément, cette simulation nécessite le refoulement du sens de l’accueil et de l’ouverture qui naturellement fusionne avec l’amour et la conscience. Le jeune vendeur doit donc apprendre à pervertir des dimensions déterminantes de sa nature humaine pour les réduire à un service si bien que lorsqu’il aura un élan relationnel envers un être, cet élan sera conditionné par l’utilisation qu’il a faite de ces dimensions sacrées à longueur de journée. Son élan sera donc saisi et atrophié par la nécessité de refouler la conscience intuitive qu’il a des conséquences de leur exploitation et les sentiments de culpabilité, de dévalorisation, etc, qui s’y rattache. Il finira par simuler l’ouverture avec ses proches et par leur reprocher une fermeture et une insensibilité qu’il a lui-même développées jusqu’à l’hypertrophie.

S. V.